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baudelaire

  • Dévouloir

    Hygiène. Conduite. Morale. — La quatre-cent-soixante-quatrième remarque de Vaugelas a pour titre "Dévouloir", verbe inusité signifiant "cesser de vouloir". Malherbe s’en servit pourtant : "Serait-il possible que celui voulût, qui peut dévouloir en un moment ?" Enfin Malherbe vint, écrit Boileau, mais il n’en finit pas de venir dans les trois tomes des Remarques de Vaugelas, et même de convenir et de circonvenir le plus souvent possible. Vaugelas trouve "dévouloir" tellement commode et significatif qu’il souhaite le voir en usage. Notre langue a bien son "détromper", son "défaire" et son "démêler" ; pourquoi pas son "dévouloir" ? — Pour moi, j’y entends un "défouloir", ce qui ne me déplaît pas. — L’époque est au défoulement ou à l’oisiveté, à la colère ou à la retraite. Je m’applique à cesser de vouloir : je tends à dévouloir. Il faudrait encore débrutaliser le monde. — "On a fait un mot en notre Langue depuis peu, qui est débrutaliser, pour dire, ôter la brutalité, ou faire qu’un homme brutal ne le soit plus, qui est heureusement inventé." — Les exégètes de Vaugelas ne sont pas du même avis, qui fournissent une note laconique après l’article "Dévouloir" : "Monsieur Chapelain traite dévouloir de mot factice qui n’a nul usage. C’est Madame la Marquise de Rambouillet qui a fait débrutaliser." — Ces considérations ne sont pas que pinaillage : j’y trouve mon aliment. Il me semble, après avoir parcouru les trois tomes des Remarques de Vaugelas annotées par Olivier Patru et Thomas Corneille en 1738, que la grammaire telle que nous la concevons de nos jours est une mécanique pour locuteurs incompétents. Les discutailleries de Vaugelas sont tout ce qui compte dès lors que les bases de l’"arrangement des mots" son acquises. — Dévouloir : il y aurait dans ce verbe quelque chose de plus actif et immédiat que dans la locution cesser de vouloir. Dévouloir : déshabiller la volonté. Pour débrutaliser : débrutaliser la police manque à notre vocabulaire et aux hypothèses de travail de nos gouvernants.

    — Quant à Baudelaire : "Travail immédiat, même mauvais, vaut mieux que la rêverie. Une suite de petites volontés fait un gros résultat. Tout recul de la volonté est une parcelle de substance perdue. Combien donc l’hésitation est prodigue ! Et qu’on juge de l’immensité de l’effort final nécessaire pour réparer tant de pertes !" — Ailleurs : "Si tu travaillais tous les jours, ta vie serait plus supportable."

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    Eduard Wiiralt, Põrgu (Enfer)

     

  • Maison de ville avec grenier

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    © Stefano Cipollari

     

    S’abîmer dans la peinture, enregistrer chaque image dans un dossier « peinture », prénom_nom_numéro, plus une lettre minuscule quand le peintre a publié plusieurs étapes de travail : le tracé au crayon, la couleur qui emplit la toile petit à petit, le visage d’abord, où le tableau s’anime. 2009, dernière peinture que je puisse archiver, première publiée. C’est un homme au torse nu, à genoux, les mains jointes vers le regardeur, visage tourné vers lui, l’œil gauche bordé de rouge, un aplat rouge et des coulures rouges sur une partie de la toile restée nue. Propriétés du dossier : cent trente fichiers. Ils défilent déjà dans ma tête en mode diaporama. Baudelaire : « glorifier le culte des images (ma grande, mon unique, ma primitive passion) ». À Bruxelles, il a entretenu une rumeur de pédérastie qui courait à son sujet, confirmant ses détracteurs dans leur bêtise, se plaisant à se faire fuir.

    Il fallait faire quelque chose du grenier qui me semblait habitable avec son lambris blanc posé soigneusement comme pour un décor un peu mièvre de chambre d’enfant, son plancher de bois aggloméré rehaussé sur la gauche et sur la droite : un côté qui sera une chambre d’appoint ; l’autre pour stocker les livres qui n’ont pas trouvé de place dans la bibliothèque ainsi que les cartons d’objets divers dont je ne veux pas m’encombrer au rez-de-chaussée et au premier étage. Au milieu, c’est un assez petit carré mais j’y tiens debout. Il y a un parquet flottant, un radiateur, une fenêtre de toit, des prises électriques. Les premiers temps, je pensais en faire une buanderie : j’y aurais installé la planche à repasser, j’aurais tendu des cordes pour faire sécher le linge. Finalement j’en ai fait un bureau, un espace de concentration. Je n’ai pas eu de bureau depuis bien longtemps. Ou plutôt j’ai évité de travailler sur les bureaux dans les appartements que j’ai loués ces dernières années. Je les regardais, j’en remplissais les tiroirs, mais ils restaient décoratifs, inutilement encombrants. Je préférais travailler sur des tables, cuisine, salle à manger. Ici, mon bureau est très fonctionnel. J’y ai installé l’ordinateur, l’imprimante, le scanneur, des livres, et des images : un portrait héroïque où mon frère m’a représenté en petit soldat sous les pectoraux galbés de mon amoureux à la crinière de mythologie nordique ; une vieille photo en noir et blanc développée sur un beau papier baryté, buste d’une jeune fille au chapeau, yeux papillonnant derrière la vitrine d’un antiquaire ; une impression noir et blanc d’une peinture à l’encre noire de Wenjie Ding, sorte d’Adam à la pomme, presque allongé, musculeux et érotique ; un carton d’invitation pour une exposition de Sophie Calle, message lumineux dans la nuit d’une autoroute d’Île-de-France : « Où pourriez-vous m’emmener ? ».

    J’essaierais de me concentrer davantage mais je ne manquerais pas de me disperser. Baudelaire citant Emerson : « The one prudence in life is concentration : the one evil is dissipation. » En l’occurrence, ce sont mes cheveux qui me maintiennent devant les peintures de Stefano Cipollari. Pour le culte des images, je me drogue à la peinture homoérotique. J’ai enduit mes cheveux d’une sombre pâte de henné. Le jeune homme au bain est très beau, cigarette entre les lèvres, yeux entrouverts, visage au reflet dispersé à la surface de l’eau. Il a le désordre enchanteur. J’ai d’abord écrit : il a le désordre de Rimbaud, mais je me corrige. Son icône continue pourtant de rôder, comme elle se superpose à toutes les figures échevelées à la jeunesse un peu boudeuse. Je pensais au Rimbaud en médaillon de Carjat et à celui dont les témoignages de violence imprévisible et de puanteur appliquée peignent un être repoussant autant qu’adorable. Il a laissé des souvenirs de crasse, mais nulle ablution. Rentrant tard dans l’appartement de Théodore de Banville, se couchant habillé entre les draps propres, les souillant de ses bottes crottées, rendant folle la bonne qui chaque jour changeait le linge. Cependant, rien ne troublait le bleu de l’œil cerclé d’un bleu plus profond. Nulle photographie n’en témoigne : il faut croire les amants. La pause dure deux heures après l’application, les cheveux sous un film plastique qui les maintient humides. Je le regarde regardé par le peintre, et sous la peinture se trouve sans doute un instantané : c’est comme si j’y étais, dans cette salle de bain, en vis-à-vis du beau brun clopant, immergé moi-même, le menton au ras de l’eau. Quand je teinte mes cheveux, j’en profite pour récurer la salle de bain, j’inspecte les angles morts, les joints noircis, les rainures encrassées. Le rinçage du henné est long et pénible car la pâte se désagrège en petits cailloux dont le peigne ni l’insistance du jet d’eau ne viennent à bout complètement. Quand je me suis installé, j’ai scruté pendant plusieurs jours les plinthes, les interstices entre les planches du parquet, et les murs et les marches de l’escalier, guettant des punaises de lit qui ne se sont jamais manifestées. L’opération se termine avec un litre d’eau tiède au bicarbonate de soude puis une solution de vinaigre de cidre fortement dilué : les cheveux sont tout à coup plus souples. Il reste à nettoyer les carreaux maculés des parois et la double porte de la douche, et à nouveau les rainures pour qu’elles retrouvent leur pureté plastique. Ce mec n’en finira jamais de cloper. Il n’aura jamais l’âge ni peut-être l’imbécile délicatesse de se faire une couleur. Ses couleurs passeront peut-être, ternies par la poussière d’une brocante, à moins qu’un collectionneur qui n’est pas encore né y rêve les amours domestiques des années vingt. Demain, Stefano publiera une nouvelle esquisse : un dos courbé, une crête en contre-plongée, des cadavres de bouteilles. Nouvelle scène de genre.

     

  • Turbulences

    C'est le titre d'une exposition, les œuvres toutes ondulatoires, ondulantes, minérales, liquides, vaguelettes suspendues, boulettes de papier tournant sur elles-mêmes, états vaguement instables, syphon imberbe dans un immense bocal, cailloux dans un lac pétrifié accroché blanc sur un mur blanc. C’est au septième étage, les balcons interdits, la ville chaude, la cuisine défendue elle aussi, l’ascenseur central calfeutré, on descend dans l’obscurité totale, l’ascenseur aussi une œuvre, expérience obscure du transport en commun. A la sortie c’est réellement la turbulence, tourbe des invités, fontaines de champagne, une Russe au visage pixellisé qui partira en scooter, un commissaire aux dents désirables, un économiste à peine rentré d’Egypte. 

    On punissait le suicidé, on le plaint maintenant — c’est une émission à la radio, un livre: S’abréger la vie. Le suicide au XVIIIe siècle. 

    Je n’ai pas réussi à écraser l’araignée.

    La machine tourne.

    Deux livres d’Hélène Bessette au pied du lit.

    Les statistiques du bonheur.

    Ce qu’on fait dans la vie, des romans d’amour.

    La fête de la musique dans Le Monde, "souhaiter un bonheur parfait" à la radio, une chanteuse "déridera même les plus ternes des bureaucrates" dans les jardins du Palais-Royal tandis qu’au Grand Palais deux mille invités vêtus de blanc feront "ressortir" les anneaux colorés de Monsieur Buren, "alliances chromatiques démesurées", etc.

    La plus vive impression hier, dernier jour du printemps, un rapport envoyé par un inconnu, photocopies d’un rapport parlementaire daté de 1978 sur le sport à l’école, définition de la puberté, langue fleurie d’un autre âge comme plus aucune institution ne le permettrait: délires de l’imagination des adolescents, passions, "les sentiments fleurissent comme pêchers en avril". La plus vive impression hier, dernier jour du printemps, la voix de la mère d’Olivier au téléphone, parlant de moi, heureuse pour lui. 

    Benjamin dit que l'imagination de Poe "déforme méthodiquement la réalité".

    Le désir flottant à la surface du champagne.

    A une passante: "érotisme de la séparation".

    "Les stigmates dont l'amour est marqué dans la vie des grandes villes."

    Rivière: "de tels mots chancelants".

    "L'émancipation par rapport aux expériences vécues."

    "Les caractères traumatophiles."

    Reik: "La mémoire est essentiellement conservatrice, le souvenir est destructeur."