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valéry

  • Les réflexes d'une grenouille

    Paul Valéry: "Ce n'est rien de surmonter le banal. On réagit contre des sottises par des folies. Cela est mécanique. Toute l'histoire mentale moderne, art, politique, etc., est aussi simple que les réflexes d'une grenouille. Je hais ce jeu de réactions simples, automatisme de l'extrémisme, riposte symétrique; croyance à la valeur du neuf en tant que neuf, du vieux en tant que vieux; croyance à l'intense, etc. Mais il existe un point d'où l'étrange, ni le banal, ni le neuf, ni le vieux ne peuvent plus se voir."

    Je devrais pouvoir retourner au bureau demain, avec mes microbes, je préviendrai, qu'on ne s'approche pas trop de moi. Par la porte-fenêtre c'est comme une vidéo de, je ne sais plus, une artiste qui filme en plans fixes des morceaux de paysage, la nature ou la ville, des gens passent, ou simplement on voit défiler les nuages, tomber la pluie, bouger les frondaisons des arbres. Depuis mon lit je vois sept fenêtres, je pourrais filmer, ça donnerait un aperçu de mes journées, les tuyas ballottés par le vent, les rayons de soleil qui parfois illuminent le crépi, un voisin en bermuda jaune, mon salon de jardin inutile puisque je crains de sortir, le cendrier qui ne sert plus, comme si je commençais à pouvoir imaginer l'oisiveté, dans mes suées et mes réveils par tranches de quatre heures. J'ai vu un spectacle plus impressionnant à la télévision: lac de lave à la surface en mouvement, craquelures éphémères, nuages de gaz. Le guide expliquait aux trois personnes qui l'accompagnaient qu'ils étaient partout en danger, ils campaient sur des sols qui vibraient, se relayaient la nuit pour observer les coulées de lave, analyser les sons.

    Sagan se documentait peu, ou mal. Pour son plus gros roman, c'est une croisière, elle prévoit des escales irréalistes que corrige son éditeur, elle accepte les corrections sans broncher. Tous ces gens qui parlent de Sagan, la moitié de la journée, à la radio. Je n'entends pas tout parce qu'entre-deux je dors, mais ça repasse la nuit, je peux recoller les morceaux. Sur une vidéo de l'INA, Jeanne Moreau dit que les femmes écrivains commencent à écrire à la cuisine, qu'elles sont moins arrogantes que les hommes. Dans un Masque et la plume de la fin des années cinquante, des critiques relèvent des coquilles, ce qu'on appelle maintenant des coquilles, du genre "quelle qu'elle fusse". Les fautes sont tellement grossières qu'il est difficile de les attribuer à un écrivain. Alors on s'interroge: négligence de l'éditeur, des relecteurs. Dans une interview de 1984, Sagan dit qu'on l'a toujours considérée comme la petite fille qu'on corrige: style trop simple, copie trop courte... Je n'ai toujours pas compris s'il y avait une célébration particulière cet été, ou si on a décidé de combler le vide de l'antenne par un feuilleton sur Sagan. Les tics sont agaçants, j'écoute plusieurs extraits de romans de Sagan, et souvent il y a une voiture dont on précise la vitesse, 140, 150 km/h, et régulièrement, dans les émissions, on parle de la passion de Sagan pour les voitures et la vitesse. Ce qu'elle déplorait dans l'interview de 1984, qu'on ne voie pas la complexité. Je n'ai lu qu'un roman, comme beaucoup de gens: Bonjour tristesse. J'étais au lycée, je ne me souviens pas, peut-être une déception.

    Je pourrais demeurer enfermé chez moi plus longtemps, mes amygdales sont toujours douloureuses mais j'ai moins de fièvre. L'appartement me semble immense, je vais à peine dans le salon depuis que mon ancienne chambre est devenue salon. C'est la cuisine que je préfère, faite de bric et de broc, en plastique, colorée. J'écris sans but aujourd'hui, j'écris banalement, j'écris parce que je n'arrive pas à dormir cet après-midi, et que je suis enfin capable de me concentrer devant mon écran.