Contre moy de cholere, en voyant que je dis
Que l’on voit nos François maintenant engourdis,
À suivre la vertu tant estimée au monde,
Que contre les vaux-riens incontinent je gronde,
Ayant pour ma raison, que chacun va laissant
L’estude et le sçavoir, qui s’en va perissant.
Cela n’est-il pas juste, & mon cœur Satyrique
N’est-il pas bien fondé sur une telle picque ?
Qui seroit celuy-là, qui voyant en ce temps
Chacun à qui mieux mieux prendre ses passe-temps
Mais plustost demeurer tousjours grossier & rude,
Et ne mettre jamais le pied dans une estude,
Ne s’estomacqueroit, & des larmes de sang
Connaissant ce mal-heur ne feroit un estang ?
Toy mesme, cher amy Olivier, qui carresses
Du Parnasside mont les pucelles Deesses,
N’es-tu point courroucé, quand tu vois un bouffon,
Un effronté friquet faire icy du profond,
Du suffisant, du docte, & du fil de sa langue
Faire à baston rompu une maussade harangue ?
[...]
Olivier, voila donc les fruits de l’ignorance :
Voila comment par elle est piteuse la France,
N’ayant plus de cerveaux, qui gravement posez
Soient dedans les conseils tousjours bien disposez,
À donner un advis qui son estat conserve.
Et qui cause cela ? c’est que l’on voit Minerve,
Apollon, & les Arts tellement à mespris,
Que d’un plaisant fallot on fera plus de prix,
Que d’un homme doüé d’une belle doctrine,
Et plus plein de sçavoir que de fait & de mine.
N’ay-je donc pas raison de paroistre songeard,
Et d’estre tourmenté par un soucy rongeard :
Et voyant, Olivier, que tout en mal se tourne,
N’ay-je pas un sujet d’estre coüard & morne,
Outre que quand l’on voit son estat definir,
Chacun particulier s’en doit aussi sentir.
Théophile de Viau, Le Parnasse Satyrique (1660), pp. 123-124