On n’est que locataire, ou pis, colocataire ;
On vit très peu chez soi, travaillant tout le jour
Pour le bien de l’État. — La vie n’est qu’un séjour
Où chaque nuit l’on fait un sinistre inventaire.
Mon immeuble s’élève où s’élevaient jadis
D’immenses abattoirs. Quant à moi, je refuse
Toute viande animale, et ma langue confuse
A perdu tout espoir, tout plaisir, et tout vice.
Sur un carré de terre, on veut faire germer
Quelques graines de fleurs semées à la volée ;
Mais rien ne poussera en terre désolée
Que cet art ancien qui consiste à rimer.
Enfant, le potager de mon père me fut
Un début, une fin, une encyclopédie.
J’ai presque quarante ans — la moitié de ma vie ! —,
Un jardinet stérile, et de sombres refus.
J’en suis persuadé : mes voisins sont fêlés !
— Car il suffit qu’à la fenêtre je me penche
Pour contempler tout le désastre d’un dimanche :
Cotons-tiges, mouchoirs, déchets amoncelés.
Un jour que j’essayais d’arroser le néant
De mon jardin désert, je vis à la fenêtre,
Juste au-dessus de moi, la main d’un petit être
Laissant choir un papier, à peine remuant.
J'interrogeai l’enfant : « Pourquoi fais-tu cela ?
N’as-tu point de respect pour celui qui habite
En-dessous de chez toi ? » Je sens qu’elle médite
Son prochain mauvais coup… alors, restons-en là.
Avant de me coucher, de mon appartement
Je fais le tour, vérifiant la fermeture
Des portes de mon cœur. — Et ma littérature
De rimes corsetée me remplit de tourment !