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Au terme d'une vie oblique

Certains vers me sont un aliment quotidien: "Il est temps de faire une pause | Avant de recouvrir la lampe"... "Je flottais au-dessus du fleuve | Près des carnivores italiens"... "Un désespoir standardisé | Et la douleur qui se propage"... De l'intérêt de bâtir des chansons sur des poèmes, quand comme moi on a la mémoire courte et qu'on peine à retenir une strophe. Au moins, avec le souvenir des mélodies, plus tenace, il y a une chance que les vers que j'y ai accrochés demeurent plus longtemps à la surface de ma conscience.

Que pourrais-je dire de la poésie, de ce qu'elle m'est depuis mes enfantines tentatives de rimaillage jusqu'à la musique que je pose avec délice sur des poèmes de Michel Houllebecq, de Théophile de Viau ou de Guillaume Apollinaire? Elle est ce médecin divagant comme sont les sapins dans Alcools, "offrant leurs bons onguents". A la fin, un sapin se couche: la forêt a perdu l'un des siens. L'ouragan l'a abattu, et peut-être en fera-t-on un cercueil. Le lyrisme d'Alcools convoque de mauvaises chansons d'amour autant que des sentiments puissamment exprimés, tout un monde mythologique, oriental, rhénan par-dessus tout, et puis une trivialité réjouissante: j'y rêve et m'y amuse en fabriquant des chansons pour moi-même, qui me suffiront tant qu'une nouvelle idée succédera à la dernière. Pour moi-même et, devrais-je dire, pour Apollinaire, là-haut, très haut.

Au rythme où je vais, quand arrivera mon dernier jour, j'aurai lu assez peu, mais profondément: les poèmes m'auront fait connaître les divagations de quelques-uns de mes semblables, aussi ancrés dans le réel (comme disent nos contemporains) que possible, mais aussi barrés (comme ils disent aussi) que possible. Il m'importe que visions, sensations et idées tiennent dans le moule des vers et des rimes car le rythme et l'harmonie dans un poème sont aussi captivants que dans une symphonie, et l'on doit pouvoir s'y adonner avec autant de complaisance, quoi qu'en disent Breton (qui le faisait avec raison) et ceux qui par principe réfutent le corset de la prosodie classique, par ignorance ou paresse. Mon caractère se plaît à cette facilité de l'écriture et de l'écoute, cet art de fixer l'idée sur une portée ou sur la tringle d'un vers et d'en faire une nécessité au milieu d'un texte qui aura pu tout entier naître de quelques notes ou mots. Mais saura-t-on jamais pourquoi cela se produit?

Avant d'entrer dans un cercueil,
Au terme d'une vie oblique,
Il serait bon que je m'applique
A publier quelque recueil.

Dans Alcools, j'ai redécouvert quelques mots: la "rose" omniprésente et odorante, qui même désigne la femme du nom de Rosemonde, le jaune des citrons, la vigne qui se reflète dans le Rhin et qui elle aussi a ses fleurs... l'adjectif "riverain" qui ne pourra plus désigner autre chose que les bords d'une rivière... Le "maraudeur", qui est un "beau naufragé"... Il me semble qu'Alcools est un recueil de l'eau. Même les sapins "sur le Rhin voguent". Quant à Paris, c'est le métallique Pont Mirabeau que la postérité a retenu et, dès les premiers vers de "Zone", "le troupeau des ponts bêle". Ainsi vague-t-on avec le poète.

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