J’y suis allé à cause de la radio, celle que j’écoute chaque jour depuis que je suis valenciennois, une de ces radios populaires qu’on dit parfois populistes : celle que je capte le plus facilement ici. À vivre seul dans un si grand appartement, les voix de la radio peuplent mon désert de parole et de caresse. Il fut question, un soir, d’un film sur Le Jardin des délices, et comme j’avais du temps à tuer hier soir, qu’il pleuvait et qu’il était trop tôt pour reprendre la route, à l’heure où le périphérique est saturé, je suis allé au cinéma. C’était, je crois, la plus petite salle. Au premier rang, un bonnet solitaire, un étudiant, pensais-je, son paquet de chips au bruit de paquet de chips, et le long brisement des chips entre ses dents, une spectatrice scandalisée derrière moi, l’avalement d’un homme nu, des hirondelles s’envolant d’un anus, ce grand oiseau assis sur une sorte de chaise percée royale, en train d’excréter une bulle d’où sortent d’autres hommes nus légèrement plus petits que celui qu’il avale, lesquels tombent dans un trou, dans un puits, dans une lunette de cabinet autour de laquelle d’autres hommes se livrent à différentes opérations d’excrétion : l’un d’eux défèque des bulles ou des œufs ; un autre, accroupi, vomit, aidé par une femme ; et du fond du trou, du fond de cette autre lunette, de ce puits, sort, plus ou moins dans la pénombre, un visage. Ce n’est pas un jeune homme mais une femme au rire scandaleux qui tout à coup change de place, le bruit d’une bouteille en verre, un cabas à roulettes ; on se demande quelle bouche à son oreille ou quelle radio l’a échouée là ; elle sort de la salle avant la fin du film. Je dors un peu ; j’aime bien les gros plans qui voyagent sur la peinture et Renée Fleming qui déchiffre une partition sur une paire de fesses, ravie par tant de précision harmonique au milieu d’un tel chaos. Le reste, je m’en souviens à peine. En rentrant, je rencontre un jeune homme qui me sourit et m’embrasse aux abords de la forêt. Je surveille le mouvement des lumières sur la grand-route, guettant quelque oiseau de l’enfer qui pourrait nous déranger.