Un jour, le prix du diesel égala celui de l’essence. Les sapiens français qui carburaient au vilain diesel ne laissaient pas de s’indigner, s’en prenant au président de la République Carbone, au ministre des taxes et à celui du remboursement des dettes. Même ceux qui avaient vertueusement acquis une voiture essence commencèrent à gronder quand la facture à la pompe dépassa les cent euros. Pouvait-on accepter que les trajets quotidiens pour aller au bureau, faire les courses au centre commercial ou conduire les enfants chez mamie coutassent bonbon ? Comment joindrait-on les deux bouts ? Allait-on renoncer aux vacances carbone ?
Et puis les hydrocarbures devinrent si chers que quelques sapiens proposèrent que tout le monde abandonnât voitures, avions, scooters, plastiques, gaz-de-ville, vêtements éphémères, etc. Le hashtag #BalanceTaBagnole rallia soixante-dix millions de consommateurs. Quelques-uns voulurent résister, mais ils n’étaient pas assez nombreux pour changer le cours inexorable du progrès. Leur colère fit long feu.
Avec la tôle des SUV, des camions et des avions, on fabriqua des cadres et des roues de vélo, des trains et des tramways, on rouvrit de vieilles gares. On n’était pas moins mobile, mais c’était différent. Quand vous ne pouviez pas vous déplacer, quand il pleuvait trop fort ou que vous aviez crevé, ce n’était pas si grave, on ne vous en voulait pas. De toute façon, on produisait moins, on réparait les dérailleurs et on reprisait les chaussettes, on communiquait raisonnablement, on avait troqué les écrans contre le théâtre et les concerts, on avait appris à lire des textes de plus de dix lignes et à utiliser le subjonctif imparfait.