"Fonctionnaire de l’humanité, c’est mon éthique, ma déontologie, quoi." Il met des "quoi" un peu partout, l’anthropologue. Il dit : "Heureux ceux qui croiront sans voir, c’est la base de toutes les religions." Il dit aussi : "L’impossible est possible." Kant, La religion dans les limites de la raison, c’est pas possible. "Je vais vous dire une chose horrible, c’est qu’il y aurait une nature humaine. On invente des réponses différentes pour des questions universelles. Le retour du religieux, c’est une connerie : il n’était jamais parti !" Le relativisme culturel des postmodernes américains, de la connerie. Il assène, dans chaque conférence : la famille n’est pas la structure fondamentale de la société. Ce qui fait société, ce sont les rapports politiques et religieux qui englobent, traversent et dépassent la parenté. La société n’est pas une addition de familles. — À force de l’écouter, je mesure à quel point nous vivons une mutation anthropologique, incarnée aujourd’hui par Peter Berlin dont j’ai découvert, ahuri, les autoportraits érophotographiques. — Ecce homo.
On sonne, je vais ouvrir. Ça n’a jamais été aussi simple depuis que j’ai emménagé à Cahors. Petite maison, directement sur la rue : on passe de la rue à chez moi en un instant. Pas de portail, pas de grille, pas de cour, pas de hall d’entrée. Je me dis que ce doit être un livreur car j’attends un colis, mais c’est une jeune femme masquée qui se présente. Elle fait du porte-à-porte et sollicite aléatoirement les habitants pour les interviewer. Je dis que la sélection doit déjà se faire par le fait d’ouvrir ou pas. — L’année dernière, dans mon immeuble chic, je pouvais voir la tête du visiteur sur l’écran de l’interphone et choisir de faire le mort. C’est en tout cas ce que firent plusieurs fois mes voisins quand je me retrouvais coincé à l’entrée de l’immeuble, ayant oublié le code du portail ou la clé du hall d’entrée.
Nous nous installons dans le salon, je m’assieds sur un zafu, elle règle son enregistreur audio et son smartphone pour l’image puis me pose des questions : Cahors, comment ça se passe pour moi qui viens d’ailleurs, comment je me projette dans l’avenir, est-ce que j’ai réalisé mes rêves de jeunesse, est-ce que je suis inquiet pour l’avenir de ma fille... J’essaie de comprendre : c’est un travail documentaire ? Elle me laisse une adresse électronique et un numéro de téléphone. Je la googlise, tiens, nous nous sommes peut-être croisés à Paris il y a quelques années : elle travaillait dans un cabinet ministériel, moi dans une administration centrale de ministère.
Je reste chez moi ce week-end parce que c’est la guerre des nerfs dans l’Aveyron. Une guerre de tranchée à coups de SMS assassins dans une vieille maison, des portes condamnées avec des extenseurs, un plancher troué, une charpente stéréophonique qui bruisse d’une foule d’insectes, de la mort-aux-rats dans le garage. Trois chiennes et leur maître rancunier montent la garde.