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  • HB

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    Les bruits de la nuit sous la tente
    pas fermer l’œil avant longtemps
    les insectes continuent de gratter la nuit
    en mode ultra pour épargner la batterie
    à quoi s’occupent-ils au juste
    en attendant le sommeil
    les souvenirs des chats aujourd’hui
    au sommet de l’antique tas de foin
    les images vues et celles recadrées
    images mentales je les vois seul
    je suis avec les chats
    comme dans les chats
    la masse l’indétermination des cinq chatons de la Pentecôte
    les yeux encore coupés du monde
    blottis les uns contre les autres quand la mère s’est éloignée
    ne pas connaître ne pas avoir connu les chiffres
    la légende universelle des vingt-quatre heures
    la mère Isis est une légende noire
    je la regarde regardant les chatons
    ce qui se passe dans l’attente
    c’est une question d’humain
    s’y allonger les regarder d’abord
    les humer puis quelques coups de langue
    elle ne les compte pas
    point de vue d’humain
    ne sait pas qu’ils sont cinq
    point de vue d’humain

     

     

    Dans le chapitre que je lirai ce matin
    Louise en aura je cite assez de compter
    mélancolie du chiffre dit Marcel
    assez du signe plus
    décor de sa vie intérieure
    « ce
    serait
    si
    simple
    d’
    éviter
    ces
    tourments
    de
    l’
    arithmétique »

     

     

    Vers six heures quand je me lève
    un chevreuil je crois
    de robe claire
    effrayé je crois
    disparaît

     

     

    Je compte plus habilement que je ne reconnais
    nomme
    différencie 
    déchiffre bêtes et insectes
    suis meilleur étymologiste qu’entomologiste

     

     

    Les oiseaux chanteront ce matin
    quand j’y pense
    je les connais d’oreille seulement
    et l’idée d’oiseau a quelque chose de préhistorique
    rapport au dinosaure
    qu’y faire

     

     

    Ici je n’entends d’humains que parfois les pneus d’un véhicule sur les cailloux du chemin
    et mon visage car le miroir n’est jamais loin
    pas un jour sans constater l’oxydation dont mon vocabulaire se passerait bien
    la peau est un organe
    ce que j’ai appris naguère avec enchantement
    et depuis je la pense organique forcément
    ce qui change à peu près tout
    organe sac enveloppant tous les autres
    organe au monde
    organisation insondable de la matière malgré les chiffres
    et les nerfs
    de l’électricité
    du courant
    polarités plus et moins
    ce qu’on sait
    ce qu’on en fait
    ce qu’on en rêve
    ce qui est nécessaire à la survie de l’espèce raffinée
    ce qui se dissipe en paroles
    entre les coups de sept heures et ceux de huit heures
    le clocher de l’église là-bas de l’autre côté de la vallée
    disons à deux kilomètres

  • Naissances

    Les jantes du tracteur
    Massey Ferguson
    je pense au roman de Jean Giono
    pas terminé
    ces machines rouges
    l'art de les conduire
    les jantes peintes en arc-en-ciel
    comme tout ce qu’on verra
    dans les rues de Villefranche-de-Rouergue
    rebaptisée pour l’occasion
    Villefranche-de-Rouergay
    drapeaux bonnets même le chien

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    La betaillère
    je n’avais jamais écrit ce mot
    mon traitement de texte n’en veut pas
    elle fait office de voiture-bélier et de sono
    en vérifiant l’orthographe
    je lis "bétaillère ponge"
    supposant immédiatement quelque poème de Francis Ponge consacré à l’engin
    mais Ponge est une entreprise de matériel agricole
    et la bétaillère n'est pas un poème en prose

     

    Je porte mon foulard en soie avec tracteurs jaunes sur fond vert
    chiné à Paris il y quelques années
    qui servit de décoration murale dans mon précédent appartement
    Je suis préposé aux photos
    Olivier conduit le caddie rose
    offrant gingembrette et cakes végan
    Léo se déhanche dans une combinaison violette
    Robin porte un boa
    Stéphane une veste à paillettes verte
    Jeanne un Bombers gaufré brun brillant

     

    La nuit on danse on boit on rentre par les routes les plus sinueuses de la région

     

    Tout à l’heure la chatte a mis bas pour la première fois de sa vie
    elle cherchait un endroit ça paraissait évident
    cinq chatons
    les premiers apparaissant tous les trois-quarts d’heure
    les derniers plus rapprochés
    les placentas avalés goulument
    finalement les cinq petits alignés contre le ventre
    cinq têtes minuscules
    vingt pattes
    cent griffes déjà visibles
    miaulements suraigus
    et la mère fatiguée
    ronronne

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  • Événement

    19 mai, pas de croix sur le calendrier que je n’ai pas, ni l’agenda Google, ni quoi que ce soit d’approchant. 19 mai, sur mon bureau, fond d’écran qui n’est que surface immatériellement visible à chaque allumage. L’ordinateur est tenace, régulier, fiable. Le clavier, docile, familier, verbeux.

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    En haut du boulevard, c’était une terrasse d’étudiants dans ma ville sans université, sans doute des étudiants à la maison, étudiants à distance, étudiants digitaux et fêtards. Je bus un café-crème et mangeai un croissant à la croûte coriace.

    — J’ai lu entretemps qu’une fête sauvage dans les environs, une trentaine de lycéens, a, comment dirait-on, et qu’en penserait l’infatué secrétaire perpétuel de l’académie française, provoqué un, évolué en, dégénéré en cluster. On s’est accoutumé à la sauvagerie des fêtes, sauvages dès lors qu’elles sont fêtes. Le contraire d’une fête sauvage est un mariage sans témoins, un enterrement sans roses, une quelconque célébration religieuse, peut-être un cours de français dispensé par mes soins en présentiel ou en distanciel.

    J’étais chez moi, participant à une visioconférence dans ma cuisine, ajustant ma figure d’expert (nous étions plusieurs représentantˑeˑs de cette tribu), notant, acquiesçant, capturant sauvagement les écrans partagés, diapositives de missions et de montants financiers. Ce fut une bonne réunion.

    En bas du boulevard, c’était une terrasse de, il n’y a plus de mots pour le dire, gens de type non-caucasien et vraisemblablement d’origine nord-africaine, tous hommes, potentiellement cisgenres et plutôt hétérosexuels, rassemblés entre hommes de la même masculinité ostentatoire comme cela se fait dans nos contrées habituellement en période non-confinée. J’y lus quelques pages de Lagarce en notant des idées sur un bloc-notes : n’était-ce pas une pièce de l’après, étaient-ce des mots justes ou juste des mots, le dire de l’échec ne remplaçait-il pas l’échec du dire, etc.

    À la brocante il me sembla que la brocanteuse ne me reconnut pas, mes cheveux en arrière sous le bonnet. J’admirai quelques gravures napoléoniennes, des voltaires, un banc rustique, une antique photo de première communiante, etc.

    De retour dans ma cuisine, j’écrivis un cours en reprenant mes notes de la terrasse masculine, cercles concentriques, questions à rebonds, tentative d’épuisement d’un échec réussi.

    Je repassai un torchon et un jean resté humide à cause de la froidure insolente de mai.

    Puis à minuit j’envoie un texto à ma fille : dix-sept ans !

  • That Man

    "Fonctionnaire de l’humanité, c’est mon éthique, ma déontologie, quoi." Il met des "quoi" un peu partout, l’anthropologue. Il dit : "Heureux ceux qui croiront sans voir, c’est la base de toutes les religions." Il dit aussi : "L’impossible est possible." Kant, La religion dans les limites de la raison, c’est pas possible. "Je vais vous dire une chose horrible, c’est qu’il y aurait une nature humaine. On invente des réponses différentes pour des questions universelles. Le retour du religieux, c’est une connerie : il n’était jamais parti !" Le relativisme culturel des postmodernes américains, de la connerie. Il assène, dans chaque conférence : la famille n’est pas la structure fondamentale de la société. Ce qui fait société, ce sont les rapports politiques et religieux qui englobent, traversent et dépassent la parenté. La société n’est pas une addition de familles. — À force de l’écouter, je mesure à quel point nous vivons une mutation anthropologique, incarnée aujourd’hui par Peter Berlin dont j’ai découvert, ahuri, les autoportraits érophotographiques. — Ecce homo.

    maurice godelier

    On sonne, je vais ouvrir. Ça n’a jamais été aussi simple depuis que j’ai emménagé à Cahors. Petite maison, directement sur la rue : on passe de la rue à chez moi en un instant. Pas de portail, pas de grille, pas de cour, pas de hall d’entrée. Je me dis que ce doit être un livreur car j’attends un colis, mais c’est une jeune femme masquée qui se présente. Elle fait du porte-à-porte et sollicite aléatoirement les habitants pour les interviewer. Je dis que la sélection doit déjà se faire par le fait d’ouvrir ou pas. — L’année dernière, dans mon immeuble chic, je pouvais voir la tête du visiteur sur l’écran de l’interphone et choisir de faire le mort. C’est en tout cas ce que firent plusieurs fois mes voisins quand je me retrouvais coincé à l’entrée de l’immeuble, ayant oublié le code du portail ou la clé du hall d’entrée.

    Nous nous installons dans le salon, je m’assieds sur un zafu, elle règle son enregistreur audio et son smartphone pour l’image puis me pose des questions : Cahors, comment ça se passe pour moi qui viens d’ailleurs, comment je me projette dans l’avenir, est-ce que j’ai réalisé mes rêves de jeunesse, est-ce que je suis inquiet pour l’avenir de ma fille... J’essaie de comprendre : c’est un travail documentaire ? Elle me laisse une adresse électronique et un numéro de téléphone. Je la googlise, tiens, nous nous sommes peut-être croisés à Paris il y a quelques années : elle travaillait dans un cabinet ministériel, moi dans une administration centrale de ministère.

    Je reste chez moi ce week-end parce que c’est la guerre des nerfs dans l’Aveyron. Une guerre de tranchée à coups de SMS assassins dans une vieille maison, des portes condamnées avec des extenseurs, un plancher troué, une charpente stéréophonique qui bruisse d’une foule d’insectes, de la mort-aux-rats dans le garage. Trois chiennes et leur maître rancunier montent la garde.

  • Manière de vivre

    Comment je me conduis, comment je parle, marche, regarde, ris, souris, cille, évite, me surveille, me sens surveillé. Ma vitesse, mon volume, mon rapport au vide, au vent, au plein, à la rugosité et à la rigueur, à la douceur et à la caresse, à la sécheresse et à l’humidité. La recherche de l’harmonie et de la géométrie, les lignes droites ici, les courbes là. La multitude des insectes que je discerne à l’œil nu, et tous les autres : nous cohabitons, mais j’essaie de réguler les populations car je redoute l’envahissement, je n’ai pas dit l’invasion.