Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

folie minuscule - Page 51

  • Rien n’y fait

    200404selfie_argile_henne.jpg

    Je tourne peu de pages, j’écoute les livres. Que se passait-il hier, cette torpeur ? J’ai éteint mon téléphone, posé l’ordinateur sur le bureau, lancé Moby-Dick un peu au hasard vers la quarantième minute, j’en étais resté à peu près là, je voulais retrouver le narrateur dans sa chambre, l’écoutant dans la mienne. Il avait hésité beaucoup, l’aubergiste lui ayant proposé de partager le lit d’un cannibale qui tardait à rentrer, mais le banc, là, ferait sans doute l’affaire, quoi, attendre dans son lit le retour d’un inconnu qui vendait nuitamment des têtes de mort, le banc serait plus sûr, l’aubergiste entreprit de le poncer pour le rendre plus accueillant, ramassa les copeaux de bois répandus sur le carreau, le banc était trop court, il n’y avait rien à faire, il eut beau le déplacer, tenter de dormir les pieds contre un mur, c’était trop inconfortable, il se résolut à accepter la chambre et peut-être la saleté, et peut-être la mort, mais il fallait dormir, l’aubergiste se voulait rassurant mais ne parvenait pas à apaiser le narrateur. La chambre n’était pas si mal finalement, il s’allongea, à quoi pensait-il donc, sa crainte de voir surgir le cannibale, cette dernière tête qu’il veut vendre cette nuit car demain c’est dimanche et qu’aucun chrétien n’achètera une tête de mort à un païen le jour du Seigneur, le souffle coupé sous la couverture en attendant la mort peut-être, et voilà qu’entre le cannibale, il tarde à se coucher, il ne remarque pas tout de suite celui qui raconte son absence depuis tout à l’heure. L’ordinateur s’arrête, je dormais presque, ils avaient peut-être déjà embarqué, ils étaient devenus amis, partageaient le même lit, le visage buriné, entièrement tatoué, Queequeg l’imprononçable parlait une langue incompréhensible, il prenait soin de rester au bord du lit pour laisser suffisamment de place à son compère, ils étaient donc devenus amis, combien de jours et de nuits durèrent les préparatifs, le cannibale au tomahawk ne lisait pas mais comptait les pages des livres en s’émerveillant du nombre de lots de cinquante qu’il parvenait à dénombrer, émerveillé plus encore de ce que le narrateur lui faisait la lecture. Il fit une telle impression quand il mania le harpon qu’on lui promit 1/90ème de la recette quand le narrateur avait difficilement négocié 1/300ème. Ils allaient embarquer sur le baleinier. J’ai repris le fil à une heure sur le livre audio, une pâte de henné étalée sur mes cheveux enfermés dans un film plastique, protégés des rayons du soleil par une serviette sombre, une pâte d’argile sur le visage dans les vingt dernières minutes, avant de rincer tout ça pour réapparaître comment... 

    Lire la suite

  • Ce serait la vie française — poetic irony

    Rimbaud is aerogel, frozen smoke, solid air. His life itself vaporizes on impact. Rimbaud defines the legend of otherness.

     

    Mon obsession de Rimbaud m’a repris. Hier, c’est un post sur Facebook qui m’a entraîné, cette photographie d’un jeune pioupiou à la mine boudeuse, Rimbaud Place Vendôme, la statue de Napoléon à ses pieds. Pour la première fois il nous est donné de voir "the Rimbaud grimace", la fameuse mine renfrognée décrite par Verlaine, "iconic scowl" les lèvres qui tombent, "downturned mouth", le regard incendiaire, "searing gaze", et tout cela exhale une effronterie tellement puissante que l’auteur de l’article prétend que Byron lui-même, dans son combat pour l'indépendance de la Grèce, n’a jamais assumé une posture aussi byronique. "With the emergence of these new photographs it is time to conclude that Arthur Rimbaud went through a phase of proto-communism." Rimbaud proto-communiste. Ite missa est : Allez, c’est la mission ! En marche ! Allongé au soleil de pré-avril, je réécoute Denis Lavant dans Une Saison en Enfer, et l’écho au mouvement politique par lequel le mal a achevé de se répandre en France aussi bien qu’à la catastrophe pulmonaire de notre vieux monde qui ne respire plus est trop fort :

    Assez ! voici la punition. — En marche !

    Ah ! les poumons brûlent, les tempes grondent ! la nuit roule dans mes yeux, par ce soleil ! le cœur… les membres…

    Où va-t-on ? au combat ? Je suis faible ! les autres avancent. Les outils, les armes… le temps !…

    Feu ! feu sur moi ! Là ! ou je me rends. — Lâches ! — Je me tue ! Je me jette aux pieds des chevaux !

    Ah !…

    — Je m’y habituerai.

    Ce serait la vie française, le sentier de l’honneur !

    Appelons cela l'ironie poétique. Il reste pourtant un doute sur le nez, le nez fin de la photographie de Carjat, mais l’icône où vagabondent mes souvenirs de désirs adolescents, l’ovale parfait du visage dans l’ovale bourgeois de la découpe photographique, l’épiderme immaculé que n’a encore creusé aucun sillon ne sont qu’illusoire pureté : c’est une photographie de photographie qui a perdu l’empreinte singulière de la peau, Carjat ayant détruit les plaques photographiques qu’avait imprégnées l’adolescent fraîchement débarqué à Paris. Dans Rimbaud le fils, Pierre Michon suppose qu’au moment de la prise de vue dans l’appartement de Carjat, Rimbaud murmurait son "Bateau ivre" qu’il venait d’écrire : c’est peut-être ce poème à la surface des lèvres au dessin triste, ce souffle qui n’impressionnera jamais aucune solution argentique ni aucun pixel, ce concentré d’épopée précoce qui se balade à la surface du portrait iconique. L’autre portrait sauvé de la brouille entre le poète et le photographe n’a pas eu la même postérité. Il est ingrat. Il se ressemble à peine. Le pioupiou de la Place Vendôme lui ressemble davantage, si ce n’est, peut-être, du point de vue du nez. Des experts devront se pencher sur l’empâtement suspect de l’aile, sur les ombres qui peut-être l’élargissent par un effet d’optique trompeur, ou par le manque de précision dû à la distance entre la chambre photographique et le sujet Rimbaud. Gageons que ce soit lui, fier, dominant la statue couchée à son côté.

    (à part) The idea that Rimbaud is with us in the pain of this pandemic, not by accident helping us to be one planetary people of unconditional love (reinvented).

    Rimbaud-in-the-Place-Vendome-1.png

    Arthur Rimbaud : "The Discovery of Two New Portraits of the Planetary Poet-laureate" par Aidan Andrew Dun