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montaigne

  • Concussus surgo

    Finalement, après m’être épanché ici et , je reste coi devant cette balle de vent, emblème de l’amiral de Chabot, dont les coutures forment un T qui me rappelle les croix présentées dans les premières pages du recueil des Devises héroïques de Claude Paradin. La devise latine, en deux mots, exprime bien la chute suivie du rebond : "Concussus surgo" ("Abattu, je me relève"). Si je pense à la devise que je me suis forgée il y a quelques jours : "Vagatur ratio" ("Ma raison vagabonde" ou "Erre la raison"), j’ai du mal à imaginer quelle figure pourrait la symboliser. La balle de vent me plaît car elle a quelque chose d’enjoué et de surprenant au milieu du XVIe siècle, et pour 2021, qui sait où elle rebondira ?

    paradin_basle_de_vent.JPG

  • Tous nos efforts

    Le noir et le blanc d’un pull à larges rayures, une fourrure artificielle comme pour signifier l’hiver et amollir sa rigueur, le craquement d’un radiateur électrique dans la cuisine, les volutes vanillées de ma vapoteuse, l’attente des nouvelles mesures gouvernementales en forme de toile d’araignée : le présent triste, nouveau temps non verbal. "Nous ne sommes jamais chez nous, nous sommes toujours au-delà", écrit Montaigne dans son chapitre sur la tristesse. J’ai mangé plus que de raison, et mon ennui n’a que faire de la raison. Ma raison se tient au-delà, ou reste à côté. Vagatur ratio. Erre la raison. Moucherons, papillons, bestioles quelconques bonnes pour la toile. Nous continuons de nous projeter mais nous commençons de renoncer à l’avenir. Tout au moins l’avenir a-t-il changé. Nos souvenirs évoluent à mesure que nous vieillissons, de même notre avenir. Pour moi, le nouvel an et celui d’après dessinent un mur sans bords.

     

    montaigne

     

    J’ai la chance de faire découvrir Montaigne à des jeunes gens de seize ans. Nous avons ausculté quelques allongeails de l’exemplaire de Bordeaux. La "chétive araignée" fut d’abord "chétive et vile", mais le petit homme a finalement rayé le vilain adjectif car tout ce qui évolue naïvement au plus près des lois naturelles est supposé bon. Michel Onfray profère les pires bêtises ces temps-ci dans les médias, mais il est un excellent professeur quand il décrit la contexture des Essais, qui n’est pas moins complexe que celle d’un nid d’oiseau ou que la tissure d’une araignée. Elle n’est pas moins complexe, mais elle est plus singulière.

    J’aimerais que l’italique penche à gauche pour mon tempérament de gaucher.

  • Correspondance III

    montaigne

     

    Lire Montaigne au cimetière
    est un projet raisonnable
    mais l’édition que je chéris
    a dû s’égarer

     

    Je prévois le soleil et un banc
    un carnet et de la nicotine
    et de faire le ménage
    en mon cerveau

     

    Nous tournoyons
    revenons sur nos pas
    la rivière est pérenne
    elle est inconsolable

     

    Amis devinons-nous
    n’ayons aucun projet
    qu’une heure de lecture
    il y a 425 ans

  • (car je songe volontiers que je songe)

    "Je songe parfois à écrire mes mémoires. Au fond, à quoi bon? L’histoire d’une vanité et d’un naufrage, ça ne vaut pas l’encre pour l’écrire. Que les hommes renversés sont pathétiques! Que j’adorais le raffinement de mon château, les gracieuses arabesques de mes parterres, mes cascades et mes nappes d’eau! Ne reverrai-je jamais mes orangers? Qu’est-ce qui nous conduit à nous détruire ainsi? Quelle forme de vanité allume notre suprême ambition et nous pousse à dramatiser la risible leçon de l’anéantissement?"

    Nicolas Fouquet
    Le Songe de Vaux

     

    "Mon blog est exagéré. J’aimerais beaucoup écrire des choses plus exagérées (inventées). Quand j’en écris, je suis content car elles me semblent plus vraies. Alors ça donne des choses un peu étranges quand mon père y fait allusion: "J’ai lu dans ton blog…" Je lui donne des précisions, je ne sais pas sur quoi: j’ai oublié à peu près les circonstances et j’ai oublié comment je les ai décrites. Mais je sais que tout est à peu près faux. "J’ai lu dans ton blog que tu avais hérité de costumes Yves Saint Laurent…" Euh… C’était probablement un rêve… A propos de rêve, je rêve toutes les nuits, en ce moment (enfin, le matin, j’imagine, puisque je m’en souviens), que je fais des mises en scène. Elles sont merveilleuses, inouïes, des apparitions. Je file du mauvais coton si je me mets à rêver au lieu d’agir, Marguerite Duras ne serait pas contente."

    Yves-Noël
    Comme nous tous faisons une œuvre de notre vie…

     

    "Mon âme me déplaît de ce qu'elle produit ordi­nairement ses plus profondes rêveries, plus folles et qui me plaisent le mieux, à l'impourvu et lorsque je les cherche moins, lesquelles s'évanouissent soudain, n'ayant sur-le-champ où les attacher; à cheval, à la table, au lit, mais plus à cheval, où sont mes plus larges entretiens. J'ai le parler un peu délicatement jaloux d'attention et de silence, si je parle de force: qui m'interrompt m'arrête. En voyage, la nécessité même des chemins coupe les propos; outre ce, que je voyage plus souvent sans compagnie propre à ces entretiens de suite, par où je prends tout loisir de m'en­tretenir moi-même. Il m'en advient comme de mes songes; en songeant, je les recommande à ma mémoire (car je songe volontiers que je songe), mais le lendemain je me représente bien leur couleur comme elle était, ou gaie, ou triste, ou étrange; mais quels ils étaient au reste, plus j'ahane à le trouver, plus je l'enfonce en l'oubliance. Aussi de ces discours fortuits qui me tombent en fantaisie, il ne m'en reste en mémoire qu'une vaine image, autant seulement qu'il m'en faut pour me faire ronger et dépiter après leur quête, inutilement."

    Montaigne
    Essais, Livre III, Chapitre 5, "Sur quelques vers de Virgile"

  • Nous allons en avant à vau-l'eau

    "N'estant bourgeois d'aucune ville, je suis bien aise de l'estre de la plus noble qui fut et qui sera onques. Si les autres se regardoient attentivement, comme je fay, ils se trouveroient comme je fay, pleins d'inanité et de fadaise: De m'en deffaire, je ne puis, sans me deffaire moy-mesmes. Nous en sommes tous confits, tant les uns que les autres. Mais ceux qui le sentent, en ont un peu meilleur compte: encore ne sçay-je.

    Ceste opinion et usance commune, de regarder ailleurs qu'à nous, a bien pourveu à nostre affaire. C'est un object plein de mescontentement. Nous n'y voyons que misere et vanité. Pour ne nous desconforter, nature a rejetté bien à propos, l'action de nostre veuë, au dehors: Nous allons en avant à vau l'eau, mais de rebrousser vers nous, nostre course, c'est un mouvement penible: la mer se brouïlle et s'empesche ainsi, quand elle est repoussée à soy. Regardez, dict chacun, les branles du ciel: regardez au public: à la querelle de cestuy-là: au pouls d'un tel: au testament de cet autre: somme regardez tousjours haut ou bas, ou à costé, ou devant, ou derriere vous. C'estoit un commandement paradoxe, que nous faisoit anciennement ce Dieu à Delphes: Regardez dans vous, recognoissez vous, tenez vous à vous: Vostre esprit, et vostre volonté, qui se consomme ailleurs, ramenez là en soy: vous vous escoulez, vous vous respandez: appilez vous, soustenez vous: on vous trahit, on vous dissipe, on vous desrobe à vous. Voy tu pas, que ce monde tient toutes ses veuës contraintes au dedans, et ses yeux ouverts à se contempler soy-mesme? C'est tousjours vanité pour toy, dedans et dehors: mais elle est moins vanité, quand elle est moins estendue. Sauf toy, ô homme, disoit ce Dieu, chasque chose s'estudie la premiere, et a selon son besoin, des limites à ses travaux et desirs. Il n'en est une seule si vuide et necessiteuse que toy, qui embrasses l'univers: Tu és le scrutateur sans cognoissance: le magistrat sans jurisdiction: et apres tout, le badin de la farce."

    Montaigne, Les Essais, "De la vanité"