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Terre-à-terre

  • Le corps qu’on gère

    Bien qu’on ait du cœur à l’ouvrage, l’Art est long et le Temps est court. Par un détour :

    Well though my heart attacks its task,
    Yet Art is long and Time is short.

    Ailleurs, un lecteur genre fin-de-siècle, souriant décadent, amèrement léger, avait lu Baudelaire et Nerval : En vérité, la Vie est bien brève, le Rêve bien long. Et de se demander en petits vers :

    jules laforgue

    Yet he had commuted the Flowers of Evil to Flowers of Goodwill. Je me souviens d’un professeur qui avançait que Baudelaire regrettait l’absence du   e   après le   B, ou qu’il se fût mieux porté sous l’étiquette plus flatteuse   de     la       b e a u t é. Dans leurs copies, les lycéens le lui accordent souvent, de même qu’ils fichent un   p   supplémentaire au nom d’Apollinaire et lui retranchent un   l. Quant à Nerval, ils préfèrent l’appeler Gérard, comme des générations de commentateurs attendris l’ont fait, comme si le Grand Désespéré invitait le lecteur au commentaire consolatoire.

    Charles, Guillaume, Gérard et Jules, et j’oubliais Arthur, ont bien mal géré leur corps. Pas un n’a atteint le demi-siècle. Ils y seraient peut-être arrivés avec un peu de management personnel, de soja ou de souffrologie.

    J’étais à Marseille à l’âge où le dur Arthur y creva. J’atteindrai sous peu l’âge baudelairien. — Je suis guéri de sa poésie !

     

    But a scar in my Blood
    Reminds me of my Sin.

     

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  • Bette-rave gitane

    bette_rave_gitane - Copie.jpg

    Son jus de betterave répandu — en forme de Gitane —
    La Maladresse et la Grâce — un clin d’œil — un Baiser — un Croissant Lunaire.

  • Le remplacement du ballon d'eau chaude

    Le plombier m'appela alors que j'avais à peine quitté le bureau. Je lui dis qu'il serait obligé de m'attendre environ vingt-cinq minutes. Il me rappela au bout de trente. J'étais sur le point d'arriver chez moi ; je me trouvais à une encablure environ de l'entrée de l'immeuble. Assis à même le sol, adossés à la porte, je les découvris, le plombier et son apprenti à qui il dispensa moult conseils pendant les deux heures que dura l'intervention. Par exemple, il fallait absolument éviter de fixer un ballon avec une cheville Molly, dont à l'instant je découvre qu'il s'agit d'un nom propre et non de l'adjectif molli, qui était ma foi une piste assez logique. Je sentis que l'apprenti n'entendait rien à la cheville Molly cependant, car on reconnaît aisément celui qui prend un air concentré en écoutant sans y rien comprendre le docte qui essaie de lui transmettre son savoir. J'eus l'idée de lui en montrer quelqu'une, ainsi qu'une pince dite à cheville Molly, car j'ai tout cela dans la boîte à outil de mes toilettes qui sert de support à une pile de magazines ainsi qu'à un seau et à une bassine en plastique auxquels je n'ai pas trouvé de place plus appropriée. Mais je me dis que ce serait peut-être mal interprété. Alors, après avoir enfilé un t-shirt, je me mis au piano, répétant jusqu'au dégoût ma valse obstinée.

  • Les tomates de la rue des Ardennes

    Les plants de tomate, ou devrait-on dire les pieds, ou peut-être les tiges ? mais ce sont les plants qui me paraissent les plus naturels, que dis-je, le plus naturel, et quoi qu’il en soit, s’agissant de ce végétal, de ce fruit et non pas légume comme chacun sait, comment ne pas le qualifier de naturel ? Les plants de tomate, disais-je, ont cette manière incroyable de se hisser vers le ciel en s’appuyant sur une béquille ; sinon je suppose qu’ils rampent, je veux dire dans la nature, quand l’homme et sa conscience réparatrice, élévatrice, calculatrice, ne sont pas là pour redresser ce qui se plaît naturellement à serpenter avec mollesse. Ainsi donc, mes plants de tomate, je leur ai adjoint des tuteurs en bambou ; par là ils ont acquis une espèce de dignité mêlée d’une gracieuse légèreté qui fait l’admiration de l’Est parisien.

    Il faut croire que c’est la chute d’une tomate-cerise (ou d’une tomate cerise ?) sur mon potager-mètre-carré qui a engendré cette luxuriante végétation lycopersique. Il faut supposer que des voisins plus élevés que je ne suis dans cet immeuble se sont débarrassé négligemment des restes d’un apéro sur mon misérable rez-de-chaussée qui, du haut de leur septième étage, ne doit pas leur sembler plus grand ni surtout digne d'attention qu’un Tuc.

    Depuis, les passants s’extasient sur mes plants de tomate et commentent la pousse des fruits, qui ces jours-ci passent sans prévenir du vert au rouge. Comme je lustrais la terrasse de mon colocataire cet après-midi tandis qu’il faisait ses derniers cartons avant de débarrasser la moquette, et que dans les rigoles indifférentes se répandait une marée verdâtre gorgée de mousses et de champignons microscopiques éradiqués par mon éponge métallique, des dames commentèrent le charme de mon îlot de verdure, mais je les prévins qu’il ne fallait pas goûter aux fruits, quels que tentants qu’ils fussent, car sans doute leurs sucs étaient saturés de toutes ces saloperies que mes voisins du dessus, je veux parler de ceux du premier étage cette fois, jettent par leurs fenêtres avec un sans-gêne inexplicable : cotons-tiges, tampons démaquillants et autres, mégots, bouteilles et canettes, et je ne sais quels produits détergents que je soupçonne d’être la cause de l’infertilité de la moitié de mon potager-mouchoir-de-poche. Les tomates du frigo sont beaucoup plus sûres, vous dis-je.

  • Propos sur le bonheur

    Le compteur électrique a disjoncté. Mon ballon d'eau chaude fuit. Je m'en suis rendu compte en démontant le boîtier électrique : des gouttes d'eau perlent sur les fils. J'ai appelé un électricien qui m'a expliqué que ces machines sont programmées pour durer dix ans. Aucune compassion. Devis : 1466 euros. Il s'est agacé de ce que je ne signe pas immédiatement pour une intervention en urgence. Douches froides pour quelques jours encore.

    Ma voiture fuit de même : elle perd de l'huile. Les mécaniciens sont en vacances. Un garagiste m'a quand même donné des conseils par téléphone. Il m'a lui aussi demandé l'âge du malade. Je sais que c'est critique en l'occurrence : 14 ans et près de 240 000 km au compteur. La question est de savoir si c'est le réservoir d'huile qui fuit ou si cela provient du moteur. Mon problème est de savoir si je pourrai accompagner ma fille à l'école le jour de la rentrée.

    Mon colocataire fuit lui aussi. Quand je suis rentré, il y avait des sacs et des objets, une valise ainsi qu'une énorme couette dans le salon. Il m'a expliqué qu'il a trouvé un appartement de 45 m2 en banlieue et que c'était une affaire à saisir. Mais qui donc va payer sa part du loyer en septembre?

    Alors je continue mon dessin : une minuscule figurine en forme de patate que j'ai eue en cadeau dans un restaurant La Pataterie, qui hurle de toute sa glotte en désignant un affreux pied d'agaric bispore dont j'ai mangé le chapeau en salade (avec du chou rouge, une tomate, un peu de concombre et de radis noir et des germes de trigonelle). Cette patate expressionniste, j'ai pris la liberté de lui ajouter quelques cheveux, allez savoir pourquoi.

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    Et puis j'écoute une conférence d'André Maurois sur Alain : "Il faudrait expliquer aux enfants et même aux hommes que les plaintes sur soi sont vaines. Elles ne peuvent qu'attrister les autres, c'est-à-dire en fin de compte leur déplaire car la tristesse est comme un poison. Chacun cherche à vivre et non à mourir, et cherche ceux qui vivent. Et quelle chose merveilleuse serait la société des hommes si chacun mettait de son bois au feu au lieu de pleurnicher sur les cendres."

  • Quatrains du 19e

    On n’est que locataire, ou pis, colocataire ;
    On vit très peu chez soi, travaillant tout le jour
    Pour le bien de l’État. — La vie n’est qu’un séjour
    Où chaque nuit l’on fait un sinistre inventaire.

    Mon immeuble s’élève où s’élevaient jadis
    D’immenses abattoirs. Quant à moi, je refuse
    Toute viande animale, et ma langue confuse
    A perdu tout espoir, tout plaisir, et tout vice.

    Sur un carré de terre, on veut faire germer
    Quelques graines de fleurs semées à la volée ;
    Mais rien ne poussera en terre désolée
    Que cet art ancien qui consiste à rimer.

    Enfant, le potager de mon père me fut
    Un début, une fin, une encyclopédie.
    J’ai presque quarante ans — la moitié de ma vie ! —,
    Un jardinet stérile, et de sombres refus.

    J’en suis persuadé : mes voisins sont fêlés !
    — Car il suffit qu’à la fenêtre je me penche
    Pour contempler tout le désastre d’un dimanche :
    Cotons-tiges, mouchoirs, déchets amoncelés.

    Un jour que j’essayais d’arroser le néant
    De mon jardin désert, je vis à la fenêtre,
    Juste au-dessus de moi, la main d’un petit être
    Laissant choir un papier, à peine remuant.

    J'interrogeai l’enfant : « Pourquoi fais-tu cela ?
    N’as-tu point de respect pour celui qui habite
    En-dessous de chez toi ? » Je sens qu’elle médite
    Son prochain mauvais coup… alors, restons-en là.

    Avant de me coucher, de mon appartement
    Je fais le tour, vérifiant la fermeture
    Des portes de mon cœur. — Et ma littérature
    De rimes corsetée me remplit de tourment !