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  • Turbulences

    C'est le titre d'une exposition, les œuvres toutes ondulatoires, ondulantes, minérales, liquides, vaguelettes suspendues, boulettes de papier tournant sur elles-mêmes, états vaguement instables, syphon imberbe dans un immense bocal, cailloux dans un lac pétrifié accroché blanc sur un mur blanc. C’est au septième étage, les balcons interdits, la ville chaude, la cuisine défendue elle aussi, l’ascenseur central calfeutré, on descend dans l’obscurité totale, l’ascenseur aussi une œuvre, expérience obscure du transport en commun. A la sortie c’est réellement la turbulence, tourbe des invités, fontaines de champagne, une Russe au visage pixellisé qui partira en scooter, un commissaire aux dents désirables, un économiste à peine rentré d’Egypte. 

    On punissait le suicidé, on le plaint maintenant — c’est une émission à la radio, un livre: S’abréger la vie. Le suicide au XVIIIe siècle. 

    Je n’ai pas réussi à écraser l’araignée.

    La machine tourne.

    Deux livres d’Hélène Bessette au pied du lit.

    Les statistiques du bonheur.

    Ce qu’on fait dans la vie, des romans d’amour.

    La fête de la musique dans Le Monde, "souhaiter un bonheur parfait" à la radio, une chanteuse "déridera même les plus ternes des bureaucrates" dans les jardins du Palais-Royal tandis qu’au Grand Palais deux mille invités vêtus de blanc feront "ressortir" les anneaux colorés de Monsieur Buren, "alliances chromatiques démesurées", etc.

    La plus vive impression hier, dernier jour du printemps, un rapport envoyé par un inconnu, photocopies d’un rapport parlementaire daté de 1978 sur le sport à l’école, définition de la puberté, langue fleurie d’un autre âge comme plus aucune institution ne le permettrait: délires de l’imagination des adolescents, passions, "les sentiments fleurissent comme pêchers en avril". La plus vive impression hier, dernier jour du printemps, la voix de la mère d’Olivier au téléphone, parlant de moi, heureuse pour lui. 

    Benjamin dit que l'imagination de Poe "déforme méthodiquement la réalité".

    Le désir flottant à la surface du champagne.

    A une passante: "érotisme de la séparation".

    "Les stigmates dont l'amour est marqué dans la vie des grandes villes."

    Rivière: "de tels mots chancelants".

    "L'émancipation par rapport aux expériences vécues."

    "Les caractères traumatophiles."

    Reik: "La mémoire est essentiellement conservatrice, le souvenir est destructeur."

  • Des lits cieux

    Je dépouille, déshabille, effeuille le texte d'Olivier:

    Des lits cieux hier soir
    ce matin je suis encore troublé par ce qui s’est passé
    juste avant j’avais peur de provoquer ma perte
    peur d’être annulé
     
    où l’on voit que le chiffre est à nouer autrement
     
    la grande majorité de ceux qui ont partagé ma vie
    leur vécu du désir
    une multitude d’aventures parallèles et secrètes
    libido et imagination
    en couple amoureux vivant
    perpétuellement à l’affût
     
    le centre ce n’est pas pareil sur toutes les surfaces
    unique sur un plateau
    partout sur une sphère
    sur une surface plus complexe
    ça peut faire un drôle de nœud
    c’est le nôtre
     
    multiples configurations
     
    je parlerai d’hier soir
     
    il est très joli L.
    le désir qui nous échappe imprévisible nous file entre les doigts
    sel de la chair des larmes et de l’amer
     
    surtout ne vous trompez pas sur la place ici du regard
     
    je suis pervers ou hédoniste ou les deux mon général
     
    la bouche de T. mon amoureux dans la bouche de L.
    je tenais leurs têtes pour qu’ils s’embrassent
    parfois le baiser profond
    le baiser de L. me parvenait par le corps de T.
    le baiser de T. me parvenait par le corps de L.
     
    lisez plutôt
    la scène dont le roman n’est tout entier que la remémoration
    c’est proprement le ravissement de deux en une danse qui les soude
     
    ça coulait de source de sueur
    les peaux se laissaient découvrir
    comme dans la rue
    pas de scénario
    les noces taciturnes de la vie vide avec l’objet indescriptible
     
    voilà ce qui me trouble depuis hier soir
    faire tourner les têtes les âmes et les corps
    nous aurions pu n’avoir qu’un rapport sexuel
     
    nous fûmes
    de moins en moins T.
    de moins en moins L.
    de moins en moins nous

    www.oliviersteiner.fr

  • Cantique

    Une heure de piano en début de soirée. Le bustier métallique de Viviana exposé dans le salon. Le colocataire dans sa chambre, pas vu. Des voix, on dirait une série, sur son ordinateur. La machine à laver ronronne son linge sale. Je m'allonge, écoute Yves Michaud parlant de son dernier livre sur Ibiza, industrialisation du plaisir. Puis sieste. Puis piano, je rejoue mon programme, enregistre la valse deux ou trois fois. Pendant ce temps Olivier est au Rond-Point, il me dit que Camille est là aussi. Yves-Noël essaie de m'appeler avec le téléphone d'Olivier mais j'arrive trop tard. Je rappelle et laisse un message. Je me couche, il fait frais car j'ai laissé la fenêtre ouverte à cause des cigarettes. Le polo bleu d'Olivier, encore chargé d'odeurs, contre mon cou, mon épaule. Je m'endors très vite, me réveille un peu en retard, café, pain, confiture de rhubarbe, me rase juste ce qu'il faut pour dessiner la barbe, prends une douche avec mon casque bluetooth, on n'en finit pas de gloser sur le tweet de la première dame de France et la défaite inéluctable de Ségolène, je m'habille en noir et blanc, métro, lecture, le chirurgien et le mage, le peintre et le caméraman, rue de Bourgogne j'écoute La Chanson de Prévert, l'enregistrement d'Isabelle Aubret a plus de cinquante ans, bouleversant de légèreté et de fraîcheur, mélodie curieusement déphasée, un pigeon mort dans le caniveau, ventre blanc gonflé impudiquement offert aux regards tel le grand-duc de Nadja dans la cour du Manoir d'Ango, un coureur aux cuisses puissantes me frôle, short blanc et t-shirt rouge imprimé "légion étrangère". En arrivant au 107 je coupe tout mais je ne sais comment il me semble qu'Olivier m'appelle, son nom s'affiche à l'écran de mon téléphone, mais n'est-ce pas moi qui l'appelle... Hier midi c'était un message commençant par ces mots "Pierre, c'est grave, je t'aimais", et c'était comme si tout allait s'écrouler, tout aurait dû s'écrouler, ce que me dictait la raison, mais la rhétorique s'était mêlée des mots d'amour et ce qui semblait dans l'exorde la fin de l'amour en annonçait plus loin le triomphe, deux hommes échoués l'un à l'autre, deux étrangers qui s'observent et se confondent, s'assemblent et se désassemblent, s'embrassent et se rêvent autant qu'il est humainement possible. "Que tu es beau, mon bien-aimé, que tu es aimable! Notre lit, c’est la verdure."