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Dans ma chambre
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Propos sur le bonheur
Le compteur électrique a disjoncté. Mon ballon d'eau chaude fuit. Je m'en suis rendu compte en démontant le boîtier électrique : des gouttes d'eau perlent sur les fils. J'ai appelé un électricien qui m'a expliqué que ces machines sont programmées pour durer dix ans. Aucune compassion. Devis : 1466 euros. Il s'est agacé de ce que je ne signe pas immédiatement pour une intervention en urgence. Douches froides pour quelques jours encore.
Ma voiture fuit de même : elle perd de l'huile. Les mécaniciens sont en vacances. Un garagiste m'a quand même donné des conseils par téléphone. Il m'a lui aussi demandé l'âge du malade. Je sais que c'est critique en l'occurrence : 14 ans et près de 240 000 km au compteur. La question est de savoir si c'est le réservoir d'huile qui fuit ou si cela provient du moteur. Mon problème est de savoir si je pourrai accompagner ma fille à l'école le jour de la rentrée.
Mon colocataire fuit lui aussi. Quand je suis rentré, il y avait des sacs et des objets, une valise ainsi qu'une énorme couette dans le salon. Il m'a expliqué qu'il a trouvé un appartement de 45 m2 en banlieue et que c'était une affaire à saisir. Mais qui donc va payer sa part du loyer en septembre?
Alors je continue mon dessin : une minuscule figurine en forme de patate que j'ai eue en cadeau dans un restaurant La Pataterie, qui hurle de toute sa glotte en désignant un affreux pied d'agaric bispore dont j'ai mangé le chapeau en salade (avec du chou rouge, une tomate, un peu de concombre et de radis noir et des germes de trigonelle). Cette patate expressionniste, j'ai pris la liberté de lui ajouter quelques cheveux, allez savoir pourquoi.
Et puis j'écoute une conférence d'André Maurois sur Alain : "Il faudrait expliquer aux enfants et même aux hommes que les plaintes sur soi sont vaines. Elles ne peuvent qu'attrister les autres, c'est-à-dire en fin de compte leur déplaire car la tristesse est comme un poison. Chacun cherche à vivre et non à mourir, et cherche ceux qui vivent. Et quelle chose merveilleuse serait la société des hommes si chacun mettait de son bois au feu au lieu de pleurnicher sur les cendres."
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Voyages
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Quiproquo
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On est comme on est
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Le portrait
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La trousse
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En arrivant à Pacy
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Quatrains du 19e
On n’est que locataire, ou pis, colocataire ;
On vit très peu chez soi, travaillant tout le jour
Pour le bien de l’État. — La vie n’est qu’un séjour
Où chaque nuit l’on fait un sinistre inventaire.
Mon immeuble s’élève où s’élevaient jadis
D’immenses abattoirs. Quant à moi, je refuse
Toute viande animale, et ma langue confuse
A perdu tout espoir, tout plaisir, et tout vice.
Sur un carré de terre, on veut faire germer
Quelques graines de fleurs semées à la volée ;
Mais rien ne poussera en terre désolée
Que cet art ancien qui consiste à rimer.
Enfant, le potager de mon père me fut
Un début, une fin, une encyclopédie.
J’ai presque quarante ans — la moitié de ma vie ! —,
Un jardinet stérile, et de sombres refus.
J’en suis persuadé : mes voisins sont fêlés !
— Car il suffit qu’à la fenêtre je me penche
Pour contempler tout le désastre d’un dimanche :
Cotons-tiges, mouchoirs, déchets amoncelés.
Un jour que j’essayais d’arroser le néant
De mon jardin désert, je vis à la fenêtre,
Juste au-dessus de moi, la main d’un petit être
Laissant choir un papier, à peine remuant.
J'interrogeai l’enfant : « Pourquoi fais-tu cela ?
N’as-tu point de respect pour celui qui habite
En-dessous de chez toi ? » Je sens qu’elle médite
Son prochain mauvais coup… alors, restons-en là.
Avant de me coucher, de mon appartement
Je fais le tour, vérifiant la fermeture
Des portes de mon cœur. — Et ma littérature
De rimes corsetée me remplit de tourment !