Le chou doux est issu d’une ancienne variété de chou plat. Son vert très clair blanchit à la base des feuilles. C’est un globe exagérément aplati, qui serait au chou ce que sont certaines variétés difformes de bouledogues au chien, si l’on peut imaginer un chien standard, dont la silhouette serait à peu près celle des panneaux de la signalisation routière et urbaine. La superposition complexe des feuilles de chou ne laisse pas de m’impressionner, comme tout ce qui manifeste, dans l’ordre de la nature, une volonté aveugle, fût-elle manipulée par l’homme qui n’a de cesse de transformer le vivant par un penchant maladif à la néomanie.
J’en ai coupé grossièrement une moitié, que j’ai jetée dans l’eau bouillante pour une soupe, avec du fenouil, des champignons débités en dés, de l’ail et du gingembre broyés ensemble, quelques feuilles d’algues séchées, et un mélange de céréales et de lentilles. J’ai émincé l’autre moitié puis l’ai jetée dans une poêle avec du fenouil, des champignons débités en dés, de l’ail et du gingembre broyés ensemble, quelques feuilles d’algues séchées, et finalement du sarrasin qui a imposé son parfum à la préparation, à mon grand dam – non que le sarrasin me gêne, mais quel dommage qu’il ait anéanti l’ail et le gingembre, sans parler de ce nouveau chou dont je n’ai pu distinguer le goût particulier. Une fois refroidis, j’ai incorporé les légumes à un mélange de crème fraîche et d’œufs, et disposé le tout, à l’aide d’une spatule, sur un fond de tarte.
Entretemps je suis allé dîner. Les trottoirs étaient glissants. Il y avait une émission en hommage à un chanteur mort trop jeune d’une maladie génétique rare. On a tiré les rois.
En rentrant, j’ai broyé les légumes de la soupe jusqu’à l’obtention d’un liquide épais et presque homogène dont je me nourrirai certains soirs, cette semaine, espérant y distinguer le goût du chou doux, de l’ail et du gingembre.