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Folles de Dieu

J’ai rencontré la folie, je ne l’avais pas vue depuis ma mère, c’était des folles, elles étaient folles de Dieu. Je m’étais assis sur un banc, j’avais à peine eu le temps d’y poser mon sac et mes tracts, une femme m’était apparue, bientôt rejointe par une autre, c’était comme une chorégraphie, une façon de présenter un spectacle peut-être, comme on le voit à tout moment dans les rues de la ville. Il y avait ces rudimentaires croix en bois autour de leur cou, des croix sans grâce, des croix de la passion du Christ, pas des atours. Ce qu’elles dirent au juste en m’abordant, je ne m’en souviens plus, elles avaient des gestes déliés vers l’église toute proche. L’une tenait un cierge blanc, l’autre une petite bougie dans un bougeoir en plastique, elles m’invitaient à entrer dans l’église, à me recueillir, je crus d’abord que c’était une façon de me présenter un spectacle, une de ces parades un peu folkloriques, un peu mauvais goût, mais non, il s’agissait vraiment de me faire entrer dans l’église. On parla longuement, elles croyaient mon âme immortelle, j’étais éternel, c’était une bonne nouvelle, j’allais ressusciter, j’étais baptisé et confirmé, j’avais la grâce de Dieu. Je dis que je n’avais plus la foi, que je ne l’avais sans doute jamais eue, m’étant convaincu, enfant, que je l’avais, mais que cela n’était pas grave ni désespérant, ma matière se disperserait après ma mort, se mêlerait à nouveau au Grand Tout, je disais au Cosmos, je deviendrais racines, tiges, feuilles, fleurs, fruits, graines, et à nouveau racines, tiges, feuilles, fleurs, fruits, graines, je deviendrais limace, je deviendrais chèvre, je deviendrais femme, je deviendrais vin, je deviendrais pierre, je deviendrais sable. J’avais eu la chance d’être là, et d’avoir encore une moitié de vie à vivre. Je dis que j’entrerais dans l’église dans quelques jours, quand mon compagnon m’aurait rejoint, que cela me ferait plaisir d’entrer avec lui dans cette église, lui qui chante des oratorios et des cantates dans les églises. L’éternité, quoi, l’éternité, je dis que c’était un concept que les hommes avaient eu la nécessité de forger pour ne pas mourir de vivre, de la conscience de vivre une vie si brève. On avait le désir, avec mon compagnon, de vivre à la campagne, on cultiverait notre jardin, il y aurait quelques animaux, il fabriquerait des drogues pour réparer les corps et les âmes, je ferais du pain. Elles m’écoutaient, je les écoutais. Elles pensaient que Dieu avait créé le règne animal et le règne végétal pour qu’ils soient agréables à l’homme, je pensais que l’homme avait abusé de son ingéniosité et que sa conscience l’avait conduit à justifier ses bassesses et ses crimes. Elles pensaient que j’avais de la chance de jouer, je leur avais donné un tract de ma pièce, il y avait ces deux têtes d’hommes, leur baiser, j’expliquais mon rituel quotidien, ma préparation à différents moments de la journée, et le rituel du plateau, tous les soirs, le linge blanc, les ablutions, les derniers jours auprès d’un mourant, faire encore l’amour avec un corps malade, s’abandonner encore avant les adieux, et répéter cela tous les soirs. Quand nous nous quittâmes, elles me dirent à bientôt et qu’elles prieraient pour moi, pour mon père, nous étions baptisés, mais elles oublièrent de parler de mon compagnon.

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© Guick Yansen

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