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À quoi rêvent les jeunes filles

La serveuse leur apporte une immense coupe de glace garnie de crème Chantilly, de fraises, de coquerets du Pérou et d’un cornet planté de travers en son centre. Elles sont cinq jeunes filles qui la prennent en photo avant de l’entamer tout en parlant des couples défaits de leurs parents.

Auparavant, j’ai croisé C., que j’ai d’abord laissé passer, me demandant si c’était bien lui. Je l’ai rattrapé dans la rue des Teinturiers. Sa chemise blanche était joliment froissée, il ne pourrait pas m’inviter à son spectacle, je ne m’inscrirais pas sur une liste d’attente, n’en ayant pas le courage, certain aussi que ce serait vain, il ne verrait pas mon spectacle non plus car je joue à l’heure tardive où il retrouverait ses jeunes comédiens, on se verrait à Lille sans doute, il y animerait un atelier d’écriture quelques jours chaque mois.

Je sirote un thé frappé à la figue, mes voisines ont terminé leur glace, un comédien passe de table en table pour recommander son spectacle aux festivaliers, une poêle à la main. Le vent souffle fort sur la Place des Corps-Saints, des guirlandes d’affiches se détachent des platanes.

Avant de quitter l’appartement, j’ai préparé un kéfir de fruits. J’ai fait comme O., une figue sèche, des quartiers de citron, quelques feuilles de verveine citronnée. Au fond de la carafe, les petites billes blanches, comme des œufs de poisson, mais je me rends compte que j’ai oublié de mettre du sucre dans la préparation, il faudra que j’y pense en rentrant, nourrir les bactéries. Le kéfir, c’est comme le levain, un échange de bons procédés pour le bien de nos organismes. Mon levain chef, je l’ai fabriqué moi-même, mais le kéfir, c’est O. qui l’a demandé à la patronne d’une épicerie, comme nous faisions nos emplettes. Elle nous avait donné rendez-vous le lendemain, et le lendemain, elle nous avait remis un bocal, il n’y avait plus qu’à préparer un premier kéfir. Je l’ai invitée à mon spectacle, c’était un échange. Elle semblait inquiète. Est-ce que je tenais le coup, un tel sujet, la maladie, la mort. Elle pleurerait sans doute. Est-ce que j’aimais les pierres ? Je m’appelais Pierre, c’est ce que je répondis. Elle me recommanda de me procurer une tourmaline noire pour rester ancré, ne pas me laisser posséder par le texte. J’avais pleuré un soir vers la fin de mon monologue, et je m’étais ressaisi. C’était possible de contrôler l’émotion. Elle avait peut-être aussi lu en moi les mauvaises bactéries, celles qui s’installent dans mon corps périodiquement, et qui auraient déjà pu me faire mourir dix fois, et encore il y a quelques jours.

O. m’a offert un pendentif en tourmaline noire, il a fait un nœud coulissant sur le cordon en cuir. Quand il est parti, j’ai trouvé sur la table le petit sachet en papier dans lequel il avait mis ses boucles d’oreille en labradorite. Toi dont la voix est douce, et douce la parole / Chanteur mystérieux, reviendras-tu me voir ?

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