Les mains n'hésitent pas, cherchant les objets familiers, se souvenant des gestes répétés mille et mille fois. Elles saisissent, à peine tremblantes, les sucres blancs à la géométrie parfaite — on les croyait disparus, relégués au rayon des alimenteurs, remplacés par d'autres plus baroques, plus rustiques, plus rassurants, complets en somme : ingénus sucres de canne aux allures brutales de pépites. Le sucrier en inox à nouveau se remplit, plus généreux et plus présentable ainsi. On commente l'abondance retrouvée, comme une scène minuscule d'une comédie domestique, sans importance et pourtant essentielle à la bienséance autant qu'à la convivialité de la situation.
Le sucrier... — Je me souviens m’être souvent fondu dans sa contemplation, y cherchant l’impossible miroir d’une autre vie dans ses courbes sévères et décoratives — dont je dirais, maintenant, qu’elles sont un écho manufacturé de l’Art Déco —, étonné que le couvercle s’y ajuste chaque fois si bien, m’amusant à l’ôter et à le remettre, observant la maculation progressive du sucre sitôt que j’en avais trempé un côté à la surface du café dans la tasse de l’un ou l’autre de mes parents, surveillant aussi la lenteur de la pendule en chêne, rêvant d’être tout à l’heure, le sucre bruni finissant par fondre sous l’action de la salive.