Ce sont des pieds et il n’y a que des pieds
quand le cinéma recrée la vie de la tête aux pieds
là vous ne voyez que des pieds
dans un film tourné à hauteur de pied
sur un autre continent où vous n’irez jamais
alors vous regardez le souvenir de ces pieds-là
comme on garde un souvenir
car vous voyez les pieds
comme une cinéaste par toquade les filma
jadis dans les années soixante-dix
Mais vous vous souvenez d’autres pieds
conservés depuis des périodes géologiques
où personne ne songeait à nommer les périodes géologiques
des empreintes de pieds dans une terre fossilisée
et l’on restitue méthodiquement le mouvement d’un groupe
se déplaçant d’un point à un autre
évanouis l’un comme l’autre point dans les frasques de la matière
hommes femmes et enfants courant pour une raison à jamais enfouie
ayant couru quelques secondes de vie
révélées par un insoucieux hasard
Je gage que les pieds filmés dans les années soixante-dix
universellement visibles depuis dix ans sur vos ordinateurs
regardés en moyenne dix fois par jour j’ai compté
disons deux fois en France deux au Mexique deux aux États-Unis d’Amérique
et pour les quatre autres comme vous voudrez
auront disparu des écrans disparus
quand la terre conservera encore aveuglément
des empreintes de pieds
auxquelles nul archéologue
ne rêvera plus