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  • L’arbrelivre


    Au milieu de la scène à peu près apparut un arbre. Perpendiculaire aux planches : un tronc. Je crus d’abord à une silhouette, corps drapé à peine apparu dans ce qui ne s’appelle pas encore lumière. J’avais rouvert les yeux, et voici ce que je distinguais : un grand corps drapé comme le Balzac de Rodin. Mes yeux s’accoutumant à cette quasi obscurité, ou l’apparition se faisant plus lumineuse, je vis que c’était un tronc d’arbre et non une statue d’écrivain, puis des branchages apparurent, mais détachés du tronc : complexes branches de buis mortes, ramassées dans une forêt lointaine et transportées dans la cage du théâtre, suspendues aux cintres. Le plateau jonché de morceaux d’écorce, lichens, minuscules feuilles mortes — car je parcourus le plateau après les applaudissements, et ce n’était pas un arbre, ou ce n’était l’arbre d’aucune forêt, disons l’absent de toute forêt et de tout bois : arbre recréé, arbre tout de papier brûlé, de cendres d’autodafés, de cadavres de livres. On avait fait feu de tout livre : des invendus destinés au pilon, des comédies humaines sans lecteurs, des Mein Kampf, des Bibles. Le tronc était coupé net. Son cœur était tout de feuilles. On pouvait les cueillir de l’intérieur. C’était un arbre de la connaissance et un souvenir de la connaissance, une image autant qu’une idée, une illusion bien sûr, un présage, un sortilège, car toutes les fictions y étaient carbonisées, les paraboles tronquées.

     

     

    Lien pour le spectacle

  • Perte d’Auréole

    J’ai bien compris que la réponses de la machine, si formellement et inhumainement parfaite, a pour seule qualité d’être générée selon un principe élémentaire : que le mot suivant soit le plus approprié, de même pour le mot d’après, etc., jusqu’au point final du dernier paragraphe commençant immanquablement par "en somme" ou "en résumé". C’est le côté prédictif de l’outil, et prédictif n’est pas oraculaire. C’est l’intelligence artificielle faible (narrow AI), qui est limitée à l’exécution de tâches simples comme écrire un texte drolatique sous contraintes formelles, résumer un texte en cent mots, classer et commenter le lexique d’un poème, etc. À cet égard, Chat GPT et les outils conversationnels similaires font frémir les professionnels de l’écriture, de la copie, du papier et du web, du communiqué de presse et de l’élément de langage, du slogan publicitaire et de la brochure aseptisée, mais aussi les poètes formalistes et les rêveurs d’anagrammes.

     

     

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    J’ai voulu transmuer le chat de Baudelaire en mule et "L’Idole" de Rimbaud en recette de cuisine. C’est plus ou moins réussi. Ma mulittérature (mule-littérature) aurait-elle déjà fait long feu ? Je suis devenu intarissable sur l’archi-banquet de Béroalde. 


    "Pline s’avança, selon la rente d’honneur, qui lui était due ; ainsi qu’il paraissait par un contrat passé par-dessus les ponts de Rome. C’est un homme notable et de prix : il est le premier inventeur de pisser honorablement contre les murailles des autres." (p. 15)


    Sur ma lancée, j’ai emprunté Les Boloss des Belles Lettres à la médiathèque, Dante et son pote Virgile, les p’tites astuces pour passer les stages concentrique de l’enfer ardent. Je compense avec le "Sonnet spirituel" de Michel-Ange.


    "Je voudrais bien vouloir ce que je ne veux pas…" (p. 75)


    Ce n’est pas affaire de vérité et de mensonge.


    "… ma plume s’éloigne de mes actes et ma feuille ment."


    C’est affaire de chercher raison de vivre.


    Les dictionnaires des rimes des poètes de la Renaissance, la recombinaison de la cuisine sentimentale à la sauce pétrarquiste, les règles mesquines de la métrique française et la réinvention ad nauseam des quatorze vers du sonnet ont produit des milliers, des dizaines de milliers de sonnets dont quelques centaines nous paraissent encore dignes d’intérêt. La plupart sont jugés pauvres, malhabiles, répétitifs, sans aura.

     

     

    ***

     


    "Eh ! quoi ! vous ici, mon cher ? Vous, dans un mauvais lieu ! vous, le buveur de quintessences ! vous, le mangeur d’ambroisie ! En vérité, il y a là de quoi me surprendre.
    — Mon cher, vous connaissez ma terreur des algorithmes et de l’IA. Tout à l’heure, comme je naviguais sur internet, en grande hâte, et que je m’aventurais dans les méandres de la toile, à travers ce chaos virtuel où la surveillance arrive sournoisement de tous les côtés à la fois, mon auréole, dans un mouvement brusque, a glissé de ma tête dans les tréfonds du cyberespace. Je n’ai pas eu le courage de la ramasser. J’ai jugé moins désagréable de perdre mes insignes que de me faire voler mon identité. Et puis, me suis-je dit, à quelque chose malheur est bon. Je puis maintenant me promener incognito, faire des actions basses, et me livrer à la crapule, comme les simples mortels. Et me voici, tout semblable à vous, comme vous voyez !
    — Vous devriez au moins faire afficher cette auréole, ou la faire réclamer par le commissaire.
    — Ma foi ! non. Je me trouve bien ici. Vous seul, vous m’avez reconnu. D’ailleurs la dignité m’ennuie. Ensuite je pense avec joie que quelque mauvais poète la ramassera et s’en coiffera impudemment. Faire un heureux, quelle jouissance ! et surtout un heureux qui me fera rire ! Pensez à X, ou à Z ! Hein ! comme ce sera drôle !"