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Mehdi

"I was on my bed, I was like, ‘Oh my God, there’s so many actors in this industry, so many people,’ and I was thinking, ‘How can I just show who I am?’"
Mehdi Hamadouchi, cité dans Variety par K.J. Yossman, 17 janvier 2023

 


podcast

 

Dimanche, il était sept heures, j’avais peu dormi, je sortais de la Gare Saint-Lazare car il fallait en sortir pour accéder à l’entrée du métro, faire quelques pas sur cette place où déjà se rassemblaient des matinaux à vélo. Les panneaux publicitaires, le mobilier urbain, les valises moulées d’Arman étaient constellées de photographies d’un visage d’homme, jeune homme, type méditerranéen, sourcils épais et cheveu frisé, un peu le genre à la mode qu’on admire ou qu’on déteste sur les affiches Saint-Laurent aux arrêts de bus, ce gars qui semble avoir quinze ans, ragazzo tout droit sorti du Decameron de Pasolini, mais ragazzo sophistiqué malgré son tatouage bizarre d’adolescent amateur de mèmes, et ses lèvres amatrices de donuts, rubans soyeux tombant sur le dos nu, car les garçons dorénavant sont dos nu. 

 

L’acteur de la gare Saint-Lazare n’avait pas encore, me dis-je, l’aura de Timothée Chalamet dont le nom est un hémistiche fait pour la poésie romantique, et le dos nu fut naguère un objet de scandale et de ravissement. Timothée, je l’avais photographié la veille, portrait nocturne au flacon Bleu de Chanel couvrant l’entière façade de l’Opéra-Garnier, confirmant la tendance sublime de l’homme-cintre — tandis que des hommes musculeux font des démonstrations de pompes et tractions en plein air sur les rives de la Seine, du côté du Pont de Solférino : ceux-là ont leurs égéries veineuses et gainées, qui ne m’émeuvent guère.

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L’acteur en mal d’embauche se voyait de face et de trois-quarts. Il faudrait être La Rochefoucauld pour décrire son caractère d’après sa physionomie, ou simplement son air. "Il y a un air qui convient à la figure et au talent de chaque personne", dit le moraliste.* — Et déjà l’inconnu de la Gare Saint-Lazare a perdu son aura de mystère. En y regardant de plus près, je lis son nom, Mehdi, et je le cherche ici et là, et je trouve son portrait sous la plume d’une journaliste londonienne. Elle s’attache à son destin d’aspirant comédien, le cite. Il se raconte des histoires, allongé sur son lit. — Ce sont des choses qu’on dit et qu’on fait, parler de soi, s’afficher au lit, s’inventer un destin depuis son lit, s’identifier, s’autodéterminer, s’envisager, mais alité : il se disait, genre, il le sentait au fond de lui, qu’il pouvait devenir acteur, avoir un agent, jouer la comédie, mais jouer de préférence un drogué ou un sans-domicile-fixe, en tout cas quelqu’un avec plein de problèmes, car il ne recherchait pas la gloire, il savait la brièveté de la vie et la vanité des entreprises humaines, alors peut-être, s’il pouvait faire du bien à quelque malheureux qui reprendrait espoir en le voyant dans un film dont le scénario n’est encore qu’une vue de l’esprit…

 

 

Réflexions diverses de La Rochefoucauld.

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