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Hygiène - Page 3

  • OPÉRATION RÉSILIENCE

    Drame télévisé en un acte

     

    PERSONNAGES

    Le Sage
    La chienne de garde
    Le chien de garde

     

    La scène se passe sur le plateau d’une chaîne d’information continue. Le Sage, resté chez lui pour cause de confinement, s’exprime au téléphone. La chienne l’a présenté comme docteur ès résilience, mais le début de l’interview a été coupé au montage. Le chien est né dans la première moitié du siècle précédent et continue de faire le beau à la télévision.

     

    LE SAGE

    Le confinement est une protection nécessaire, physique, mais c’est une agression psychologique. Dans un premier temps, les gens vont s’adapter, mais ceux qui, avant le traumatisme, avaient acquis des facteurs de vulnérabilité, vont mal supporter le confinement, alors que ceux qui avaient acquis, avant le traumatisme, des facteurs de protection, ceux-là supporteront et peut-être même profiteront du confinement pour plus de créativité pour modifier les rapports sociaux.

    LA CHIENNE DE GARDE

    Vous parlez de catastrophe et pas de crise, parce que vous dites que ce qu’on vit, c’est une catastrophe, d’autres disent, le président dit « c’est une guerre », et rien ne sera plus comme avant… euh… cela veut dire que… il y aura des choses terribles, mais aussi peut-être des choses positives ?

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    Mes cheveux — crin de Cheval
    Le gant — fibre d’Ortie — et le savon Menthe
    Le pouce — orange Curcuma
    La peau de Soleil — par les murs — de Verre —
    Sorte de Vanité — romaine
    Un vague lit — un Désir — vague —
    Dans la chambre ici-bas — No Sex

     

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  • Jour 7, semaine 2, printemps

    Rome ne s’est pas construite en un jour, ni effondrée. Construction, effondrement : des siècles. La cité qui s’effondre l’ignore, se croyant en perpétuelle construction, quels qu’en soient les leurres et les aléas, fussent-ils des invasions barbares, aujourd’hui virales. Les hommes effondrent la terre depuis dix mille ans, et dans une fièvre exponentielle depuis près d’un siècle. L’on n’aime rien tant que les exponentielles, la griserie des exponentielles plutôt que la sagesse des cycles, Chronos l’effondreur plutôt qu’Aiôn — force de vie. Pratiquer l’effondrement d’une terre, c’est la labourer profondément. Naguère, je me suis promené dans les champs du village de mes rêveries enfantines, le maïs enraciné dans une substance qui n’était pas de la terre, quelque chose de gris, sans herbes, sans insectes, sans relief ni vie. Si nous ne nous sommes pas encore effondrés, la terre, elle, si. Chez Furetière, un poids peut effondrer le plancher d’une chambre ; la terre s'est effondrée : elle a fondu sous cette charrette ! Quant à cet homme, il heurte si fort qu'il semble qu'il veuille effondrer la porte ! Vider une volaille, lui ôter la poche, le gésier : en somme, l’effondrer. Nous avons effondré une chauve-souris ! J’en ai vu dix mille sur un marché en Indonésie ! Nous sommes des hommes goulus et fort ventrus. Goulus de confort et ventrus d'objets inutiles : nous sommes, comme l’écrit Furetière, de gros effondrés.

  • Le nombre des rameurs d'Ulysse

    00:04:02
    Nous ne vivons que la moindre partie du temps de notre vie, car tout le reste de sa durée n'est point de la vie, mais du temps.

    00:20:52
    Je n'ai pas le temps de vivre ! Pourquoi donc ? Parce que tous ceux qui vous attirent à eux vous enlèvent à vous-même.

    00:36:10
    Il est des hommes dont le loisir même est affairé.

    00:42:03
    Personne ne doute que ceux qui s'appliquent à d'inutiles études littéraires ne se donnent beaucoup de peine pour ne rien faire. Le nombre en est déjà assez grand, chez nous autres Romains. C'était la maladie des Grecs, de chercher quel était le nombre des rameurs d'Ulysse.

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  • Pansement

    Je me suis couché très tôt et levé très tôt. Ce sera peut-être mon rythme quotidien. Je n’en sais rien. Je ne vais pas me l’imposer. Je fais quatre séries de dix pompes. Sur Facebook, un comédien avec qui je me suis fâché il y a deux ans a partagé le Journal de confinement de Wajdi Mouawad. J’écoute, je réécoute, je retranscris le début et un passage vers la fin. La parole est murmurée, nue et pleine à la fois, c’est un pansement chargé des mythes littéraires, d’Œdipe à Lady Macbeth, hanté par une insondable culpabilité. "Les lavant deux fois par heure et trente secondes à chaque fois, je n'ai jamais eu les mains aussi propres qu'en ces jours de solitude. Et pourtant, malgré la propreté de mes mains, je dois bien être responsable de quelque chose."

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  • "Se poser les questions, mais autrement..."

    "Les lavant deux fois par heure et trente secondes à chaque fois, je n'ai jamais eu les mains aussi propres qu'en ces jours de solitude. Et pourtant, malgré la propreté de mes mains, je dois bien être responsable de quelque chose. Lady Macbeth sans le savoir. Mais alors, quelle est cette tache qui ne s'en va pas et que je n'ai de cesse de frotter? Quel crime ai-je commis? Quel roi ai-je égorgé? A moins que, à l'image de mon époque, je ne sois rien d'autre qu'un de ces milliers de Ponce Pilate, autre personnage obnubilé par la propreté de ses dix doigts, qui se demande bien en quoi cela peut le concerner. En ce cas, qu'est-ce qui, en me lavant les mains, risque aujourd'hui d'être mis à mort? Quel Christ j'envoie à sa crucifixion? Qu'est-ce qui est sublime et qui meurt? Qu'est-ce qui s'en va? Quel esprit de la forêt déserte le monde? De quoi dois-je dès à présent faire le deuil? L'insouciance? Il y a deux semaines, je ne peux pas dire que je me sentais insouciant. Climat, incendies, violences envers les femmes, libéralisme... Si le monde que je quitte par le confinement était celui-là, pourquoi désirer la fin de ce confinement au plus vite? Pour retrouver quel monde? Entre un monde qu[i m'écrase et celui qui aujourd'hui me statufie, comment ne pas rester hébété et sans réponse à cette question: quoi faire de ce confinement?
    [...]

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    Je vois à peu près ce qu’est un data-analyste, quelque chose comme un expert ès interprétation des données massives collectées par une société dont les intérêts financiers dépendent de la compréhension des usages de ses clients. Je vois bien ce qu’est une grosse base de données, quelque chose comme un immense fichier avec mille et une lignes et colonnes et encore mille et une cases au carré qui restent muettes jusqu’à ce qu’un expert les rende intelligibles grâce à quelque manipulation informatique somme toute basique mais qui fait de lui un conseiller indispensable des grands de ce monde. Je vois tout à fait ce qu’on caractérise comme comportement moyen d’une catégorie d’individus représentant certaines habitudes d’achat, d’actions récurrentes, de vociférations sur les réseaux sociaux par exemple, et l’on sait maintenant qu’un candidat à la présidence de la république a tout intérêt à s’appuyer sur le travail des datas-analystes s’il veut sérieusement parvenir à ses fins de gestion quinquennale des affaires de l’état.

    Je pense être assez lucide sur ma situation de réfractaire ayant renoncé depuis plus d’un lustre à donner ma voix à l’un ou l’autre des candidats à l’administration des dossiers du pays, considérant que la démocratie telle que nous la pratiquons n’est qu’un mot qui nous est servi dans quelques formules prêtes-à-dire, paroles gelées et bien gelées. Je reconnais que je ne me suis pas encore suffisamment retiré du monde, même si j’ai renoncé à la viande et presque complètement au pi des vaches et au cul des poules, à l’industrie alimentaire qui est une machine à faire faillite pour les hôpitaux et une rente pour l’industrie pharmaceutique, au plastique jetable, aux mouchoirs en papier, à l’essence pas encore tout à fait, à la perspective d’une retraite complètement, je veux dire une retraite sonnante et trébuchante. Je suis étonné d’entendre ces drôle d’expressions de valeur-travail et de pouvoir d’achat dans les discours des hommes politiques, les commentaires des médias et les expertises des experts. Je suis étonné que les trois nouveaux smartphones d’Apple soient aussi plats qu’est ronde la terre présentée sur leurs écrans dans la vidéo sponsorisée à laquelle seuls quelques ermites ont peut-être échappé, qu’on continue de craquer les grains de blé pour en séparer les molécules avant de les expédier dans des usines de prêt-à-manger, que l’on castre chats et chiens pour notre tranquillité autant que pour leur soumission. Mais je continue de bien dormir, c’est une chance, jusqu’à demain.

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    J’ai perdu une dent, ça a duré quelques jours.

    C’était devenu une affaire très grave — la seconde pente de la vie, celle qui descend. Je l’ai vue devenir grise et translucide. Il faudrait accuser le coup, ne plus chanter qu’intérieurement, serrer ce qu’il me resterait de dents.

    Et puis elle est revenue, et maintenant je pense que j’ai dépassé le stade de l’épuisement. Une sorte de régénération.

    C’était un enchaînement de cinq accords, rien que des bémols. Une mélodie est arrivée — bienvenue.

    Les feuilles de salade, pas tout à fait fraîches, pas grave. Un gâteau parfumé au citron, tacheté de morceaux de pomme brunis à la poêle.

    Tout cela était bien fatigant — comprenez-vous.