Hygiène - Page 6
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Like one in danger
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L’encre ou la chair
L’art est triste, hélas...
Hier, il est allé à Hangzhou. Comme la chambre de son ami était trop petite et qu’il ne voulait pas le déranger, il est retourné à l’hôtel. Il a dormi toute la nuit. Au réveil, il avait mal aux jambes et n’arrivait pas à marcher normalement. C’est l’effet de la balade sur les routes de montagne. D’habitude, il reste assis pour peindre à la maison toute la journée, mais il se dit que ce n’est pas un mode de vie sain car son corps qui manque d’exercice finit par le dégoûter. Hier soir, il a téléchargé une application pour faire des rencontres. Ce matin, il avait quantité de messages d’hommes de Hangzhou, mais aucun n’avait excité sa curiosité ni son désir ; la plupart utilisaient des avatars trompeurs ; quelques-uns lui avaient envoyé de vraies photos mais n’étaient pas son genre ; tous avaient un besoin impérieux de sexe qui se mêlait aux question convenues et parfaitement ennuyeuses des sites de rencontre. Il continuera de se reposer à l’hôtel toute la journée pour laisser ses jambes se reposer. Il y a quantité de boutiques et de restaurant en bas. S’il a faim, il n’aura qu’à descendre.
— Wenjie poste ce message vers midi, heure locale. Il le documente avec cinq photos : quatre de ses jambes, une de son torse imberbe et tatoué au côté gauche avec deux idéogrammes, les bras étirés au-dessus de la tête pour prendre la photo, le bas du menton joliment arrondi, les aisselles aussi finement poilues que les jambes. J’ai prélevé la traduction automatique de son texte pour lui donner un tour moins maladroit, modifié le mode d’énonciation en choisissant la troisième personne, opéré quelques assouplissements syntaxiques, me suis permis des variations sémantiques en corrigeant les incohérences que j’ai mises au compte des défauts du traducteur chinois-français. Je pense avoir respecté les affects que j’y ai perçus, et, malgré l’éloignement géographique, culturel et linguistique, je constate qu’un homme est un homme, qu’un homme qui désire et dessine se pose à peu près les mêmes questions en Chine et en France : nous sommes du même bois. Il est huit heures, heure française. Je commence ma journée ; Wenjie a peut-être déjeuné. Dans son repos, j’aimerais qu’il fasse une encre musculeuse même si son activité sédentaire le dégoûte quelque peu aujourd’hui ; mais peut-être, dans son vœu d’oisiveté, rencontrera-t-il plutôt un compagnon à son goût, et écrirai-je bientôt, devinant la malice sous une piteuse traduction robotique, et tâchant encore de filer, tisser, et enfin plier un récit : jambes en l’air.
© Wenjie Ding
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Bulle
Ce qui suit est une scène téléphonique.
Je ferme les yeux. Les images vont arriver, les décors vont arriver. Accueillez les images comme elles viennent. Je vois en face de moi un homme qui joue au golf. C’est très étonnant. Il est dans une autre dimension. Il est dans un monde où il est coupé du reste du monde. Je le vois d’une autre planète. Il joue au golf et il est tout seul. Il a des gestes répétitifs. Ils est très précis dans ses gestes. Il pose sa balle blanche sur un petit truc. Il y met son intention, son intention étant de viser plus loin, après il envoie la balle, mais il fait ça tout le temps. C’est comme s’il tournait en rond, dans cet instant où il met son intention, mais ça ne fait rien dans la réalité. On me dit que c’est une boucle temporelle que vous avez. C’est comme s’il fallait réveiller une partie de vous. Cet homme, vous pouvez le contacter en rêve. C’est comme si je vous voyais en train de dormir et qu’il était quelque part en vous… C’est comme s’il fallait le réveiller et dire : "hé ho, t’es dans une bulle, là, il va falloir te réveiller ! T’es dans une bulle intemporelle et tu tournes en boucle…" Lui, il ne sait pas qu’il répète le même mouvement depuis… En tout cas, c’est une histoire que votre égo en partie se raconte. Il est tout seul, il n’y a vraiment personne autour de lui, il n’y a même pas d’animaux. Il n’a même pas remarqué qu’il était seul en fait, c’est vraiment une bulle.
Et quand j’arrive vers lui et que je pose ma main sur son épaule pour lui dire que je suis là, en fait je le gêne parce que je le déconcentre dans son intention de poser la balle comme il faut. C’est comme un TOC.