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La fuite - Page 2

  • Farewell poem

    Là où le bleu des collines fend le ciel du septentrion,
    Bien au-delà du fossé qui encercle la cité,
    Nous nous sommes arrêtés pour nous dire au revoir.
    Un voile blanc s’est couché sur l’horizon ;
    Ton cœur était gonflé de pensées vagabondes ;
    Pour moi, c’était assurément le coucher du soleil.
    Nous avons cherché la voix du dernier adieu,
    Mais nos mots se sont dit bonne nuit.

     

    [Rewriting and dreaming Wenjie’s fantasies.]

  • La chambre est veuve

    La parure de lit est blanche, quatre oreillers rectangulaires superposés deux par deux, une tête de lit qui se prolonge de chaque côté sur environ un mètre en s’incurvant aux extrémités comme pour adoucir la recherche du sommeil. Trois cadres sont accrochés au-dessus du lit : deux pagodes jumelles aux tons chauds sur fond blanc dans de petits formats carrés disposés l’un au-dessus de l’autre comme les oreillers ; une marine aux tons froids, découpe des montagnes se mirant dans une mer étale fendue par une barque dont les deux traits orthogonaux figurent deux rameurs, à moins qu’il s’agisse de mâts, à moins que ce soit un lac, et je compte neuf oiseaux dans le ciel, mais comment désigne-t-on la marine en chinois ? Et ce cadre rond, comment éviter la contradiction ? La langue chinoise a-t-elle un mot pour le cadre carré qui devrait être un pléonasme en français, et un autre pour le rond ? Et le traducteur automatique parviendra-t-il à déchiffrer mes questions pour Wenjie ?

     

    Lundi 27 avril, 9 heures 30, heure locale

    Réponse : « Rond 方型 carré 圆型 »

     

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    © Wenjie Ding, La vie éternelle dans le feu – médaillon, forme ovale

  • Rien n’y fait

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    Je tourne peu de pages, j’écoute les livres. Que se passait-il hier, cette torpeur ? J’ai éteint mon téléphone, posé l’ordinateur sur le bureau, lancé Moby-Dick un peu au hasard vers la quarantième minute, j’en étais resté à peu près là, je voulais retrouver le narrateur dans sa chambre, l’écoutant dans la mienne. Il avait hésité beaucoup, l’aubergiste lui ayant proposé de partager le lit d’un cannibale qui tardait à rentrer, mais le banc, là, ferait sans doute l’affaire, quoi, attendre dans son lit le retour d’un inconnu qui vendait nuitamment des têtes de mort, le banc serait plus sûr, l’aubergiste entreprit de le poncer pour le rendre plus accueillant, ramassa les copeaux de bois répandus sur le carreau, le banc était trop court, il n’y avait rien à faire, il eut beau le déplacer, tenter de dormir les pieds contre un mur, c’était trop inconfortable, il se résolut à accepter la chambre et peut-être la saleté, et peut-être la mort, mais il fallait dormir, l’aubergiste se voulait rassurant mais ne parvenait pas à apaiser le narrateur. La chambre n’était pas si mal finalement, il s’allongea, à quoi pensait-il donc, sa crainte de voir surgir le cannibale, cette dernière tête qu’il veut vendre cette nuit car demain c’est dimanche et qu’aucun chrétien n’achètera une tête de mort à un païen le jour du Seigneur, le souffle coupé sous la couverture en attendant la mort peut-être, et voilà qu’entre le cannibale, il tarde à se coucher, il ne remarque pas tout de suite celui qui raconte son absence depuis tout à l’heure. L’ordinateur s’arrête, je dormais presque, ils avaient peut-être déjà embarqué, ils étaient devenus amis, partageaient le même lit, le visage buriné, entièrement tatoué, Queequeg l’imprononçable parlait une langue incompréhensible, il prenait soin de rester au bord du lit pour laisser suffisamment de place à son compère, ils étaient donc devenus amis, combien de jours et de nuits durèrent les préparatifs, le cannibale au tomahawk ne lisait pas mais comptait les pages des livres en s’émerveillant du nombre de lots de cinquante qu’il parvenait à dénombrer, émerveillé plus encore de ce que le narrateur lui faisait la lecture. Il fit une telle impression quand il mania le harpon qu’on lui promit 1/90ème de la recette quand le narrateur avait difficilement négocié 1/300ème. Ils allaient embarquer sur le baleinier. J’ai repris le fil à une heure sur le livre audio, une pâte de henné étalée sur mes cheveux enfermés dans un film plastique, protégés des rayons du soleil par une serviette sombre, une pâte d’argile sur le visage dans les vingt dernières minutes, avant de rincer tout ça pour réapparaître comment... 

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    Tes yeux brillant d’huile semblaient
    me parler mais on ne se parlait pas
    la courbe de tes yeux d’huile
    il y avait des hommes
    à tes pieds
    le tour de mon cœur
    je les devinais
    ne les voyant pas

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    Mes cheveux — crin de Cheval
    Le gant — fibre d’Ortie — et le savon Menthe
    Le pouce — orange Curcuma
    La peau de Soleil — par les murs — de Verre —
    Sorte de Vanité — romaine
    Un vague lit — un Désir — vague —
    Dans la chambre ici-bas — No Sex

     

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    Ce Foulard — plus beau Paysage —
    Depuis ma Chambre — manque — le joli Chevrier

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  • Picus veridis

    Il y a du vert, du gris-vert, du jaune et du rouge chez le pic-vert. Le picus veridis a une consonance véridique. Je me demandais depuis tout à l’heure quel était ce bruit intermittent. Quelque chose me dit que c’est un pic-vert depuis que j’ai ouvert la fenêtre. C’est un bruit de la nature, pas un bruit technique — comme cette scie à la vibration puissante et sourde qui s’ajoute aux chants d’oiseaux et au bruit continu des véhicules sur l’autoroute lointaine — une marbrerie — on scie des plaques de granit ou de marbre — monuments funéraires. Les oiseaux me font penser à Emily Dickinson car ils peuplent ses poèmes de leurs noms américains. "Mon Sort — aujourd’hui — c’est la Défaite": début d’un poème, début d’une chanson. J’ai commencé à y travailler hier soir — en sourdine — ne pas déranger les voisins aux oranges qui un soir m’ont envoyé un mail assassin nous demandant de "ne plus partager" nos vocalises avec eux. Le poème, j’y avance pas à pas. J’ai attaqué les deux premières strophes, pas comme le pic-vert, mais à pas feutrés. Je n’y ai pas encore rencontré d’oiseaux. Pour l’instant je n’y entends que des cloches — fewer bells… Olivier a emporté ma belle édition des sonnets de Shakespeare. Les sonnets de Michel-Ange aussi, le Canzoniere de Pétrarque. J’ai gardé le recueil de Pasolini, La religion de mon temps. On chantera chacun chez soi. Lui au pays de la langue d’oc, moi et ma langue d’oïl — mais je préfère chanter en américain — imparfait.

  • Aller-retour

    Le coffre ne s’ouvre plus. J’y pénètre par la banquette arrière, suivant les instructions du manuel. Comme il fait noir, je télécharge une lampe-torche. J’enfonce la pointe d’un fin tournevis dans le trou indiqué sur le schéma, et aussitôt la serrure se débloque avec le bruit familier du coffre qui s’ouvre, comme une notification mécanique. Cela ne sert à rien : sitôt le coffre fermé, il persiste à le rester. C’est une panne électronique. Je regrette ma vieille voiture où les clés étaient fées.

     

    Le trajet dura quatre heures. Ma passagère écoutait un podcast chamanique derrière ses boucles blondes.

     

    Pour l’hôtel, on fera tout au moyen d’une carte magnétique : entrer dans le hall et dans la chambre, allumer la lumière. La harpiste a déjà perdu trois cartes. Elle en rit devant l’ascenseur. Le code de l’ascenseur est un code postal parisien très chic.

    On avait travesti mon amour. Dans l’opéra, on dansait avec des balais. Un soir de relâche, on dansa dans un vieux dancing. Comme je fumais à l’entrée, les videurs me confièrent qu’il n’y avait pas assez de viande sur la piste de danse pour laisser entrer cinq garçons affamés.

    J’avais sillonné la ville dans tous les sens. Le plus fantastique, c’était le rassemblement des oiseaux tous les soirs, aux mêmes heures dans les mêmes arbres, leur vacarme et leur odeur.

    Je remis le petit bouddha à sa place sur l’étagère. Laissai sur l’oreiller un poème américain. Poème d’homme pour une fois.

     

    Le trajet dura quatre heures. Ma passagère se plaignit de la difficulté d’un poème en prose que sa fille devait expliquer.

     

    Les boutiques de cigarettes électroniques pâtissent de l’inanité de leurs enseignes. Le vendeur désœuvré a des talents d’aquarelliste. Il faisait du gris quand je l’ai dérangé. Comme je le complimentai discrètement, il reconnut que les pinceaux et les pigments naturels étaient plus savoureux que les arômes frelatés qu’il me vendait.

    Je me privais de lait de vache depuis trois jours, j’en étais malheureux.  Je mangeais à des heures bizarres. Je surveillais mon corps. Faisais d’inutiles calculs sur les âges de ma vie. Avais des souvenirs par dizaines d’années, des envies à la pelle mais l’incapacité de les dessiner.

    On déplacera un jour ce couvercle de granit rose pour y déposer un autre cercueil. Ce matin, nous l’avons lavé, mon père et moi, et taillé l’arbuste épineux chargé de fruits rouges gonflés de pluie. Les plaques commémoratives s’oxydent, l’or des lettres se ternit par endroits. Je lave aussi les trois petits galets verdis par des mousses.