Mon ordinateur ne détecte pas plus le CD ce matin que la nuit dernière, nuit de super pleine lune du chasseur, ai-je-lu. Cela ne fonctionne pas plus avec le CD dit réinscriptible où je viens d’enregistrer des poèmes d’Emily Dickinson sur mon graveur de salon (une antiquité de la fin du siècle précédent), qu’avec les trios pour piano de Jean-Chrétien Bach empruntés à la bibliothèque municipale. Comme mon ordinateur a pris l’initiative de mettre à jour un tas de choses et qu’il ne se ressemble plus (au point que, quand je l’utilise, j’ai l’impression d’utiliser l’ordinateur de quelqu’un d’autre), j’ai espéré qu’il suffirait de réinstaller le pilote du lecteur pour qu’il fonctionne à nouveau. Mais après avoir navigué difficilement sur ce menu où je n’ai plus de repères, j’ai constaté que le pilote avait bel et bien été mis à jour. Je parviens à jouer mon CD sur d’autres lecteurs : c’est donc que le problème ne vient pas du CD mais du lecteur de mon ordinateur. Il est mort, comme on dit. The syllableless Sea, l’Océan de non-dit, demeurera quelque temps, le temps de me décider à utiliser mon nouveau matériel informatique que je rechigne à mettre en service parce que j'ai l'habitude de travailler sur les mêmes consoles et avec les mêmes potentiomètres depuis plus de quinze ans, dans son mutisme. Ce poème-là n’est pas daté (undated) et porte le numéro 1689. Le numéro 3, daté de 1853, c’est aussi le silence et la mer : On this wondrous sea (sans capitale, c’est la mer, et non l’océan, si je comprends bien la logique de la traduction) – sailing silently… et, deuxième strophe : In the silent West / Many – the sails at rest – The anchors fast. Dans les deux strophes de ce petit poème de jeunesse (Emily Dickinson avait vingt-trois ans), il y a la même exclamation : Ho ! Pilot ! Ho !, et à la fin : Thither I pilot thee – / Land ! Ho ! Eternity ! Ashore at last ! Il a fallu décider : prononcer fest et lest pour rimer avec West et rest. Pour en avoir le cœur net, j’interrogerai l’assistante anglaise du lycée — Il y a quelque temps, je lui ai demandé comment se prononce le mot azure, trouvé dans un autre poème. Elle m’a dit ne pas connaître ce mot. Il appartient probablement au musée des bizarreries exotiques ou archaïques de la poésie d’outre-langue.
La fuite - Page 20
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Ho ! Pilot ! Ho !
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Décoration
ME SÉPARANT DE TOI
DÉBORDANT LA RAISON
D’ENCABLURE FÉCONDES
IMAGINANT LE SEL
ET L’IVRESSE PROFONDE
ET L’IVRESSE DES ONDES
CARESSANT LA DOULEUR
ET LE MOT DE DOULEUR
ASSIS AU CREUX DU MONDEDANS LE CIEL NAGE ENCORE
UN NUAGE ET TA MAIN
EN SON CREUX LE RETIENTNOS CIELS N’ONT NI SOLEILS
NI ROSES DANS LEURS NUES
MAIS PAVANENT LEURS OMBRES
LEURS GRANDS ÉTONNEMENTS
ANIMENT NOS HUMEURS
ET NOS RÉFUTATIONS
QUAND LE REFUS DE VIVRE
N’EST PLUS QU’UN SONGE CREUX
PARMI LES SONGES CREUX
ET QUE LES NUÉES BLANCHES
CREUSANT DES HYPOTHÈSES
SE CHARGENT DE LEURS OMBRES
NOUS RÊVONS SUR LES TOITS
ENVELOPPÉS DE DRAPS
ET TRANSIS DE PROMESSESQUE L’IVRESSE NOUS TIENNE
LIEU D’AMOUR INFINI
ET S’ACCORDENT NOS VIESQUE NOS VIES SONT ANCIENNES !
ET L’AURORE EST NOUVELLE
ACCABLÉE DE FRAÎCHEURS ! -
Pour un processus destituant : invitation au voyage
"Aucune raison d’endurer un an et demi de campagne électorale dont il est déjà prévu qu’elle s’achève par un chantage à la démocratie. Formons plutôt un tissu humain assez riche pour rendre obscène la bêtise régnante, et dérisoire l’idée que glisser une enveloppe dans une urne puisse constituer un geste - a fortiori un geste politique.
Depuis quelques jours, on perçoit dans les cendres de la gauche quelques lueurs rougeoyantes : les réticences sur la déchéance de la nationalité française et l’appel à une primaire pour l’élection présidentielle à venir. Le malaise pointe, à force de voir l’exécutif s’aligner sur des positions de droite ou d’extrême droite. Ces intellectuels, ces militants, ces élus de gauche réclament "du contenu, des idées, des échanges exigeants", afin que le candidat à leur primaire "incarne le projet dont la France a besoin pour sortir de l’impasse". Bref: ils veulent encore croire à la politique. Ils n’ont pas eu vent de la nouvelle pourtant retentissante : toute cette politique est morte. Comme sont morts les mots dans lesquels se dit la chose publique - la France, la Nation, la République, etc. Comme est morte la pompe institutionnelle dont s’entoure le vide gouvernemental. La politique a poussé son dernier râle l’été dernier là où elle était née, il y a plus de 2000 ans, en Grèce; Aléxis Tsípras fut son fossoyeur. Sur sa tombe sont gravés ces mots prononcés en guise d’oraison funèbre par le ministre allemand de l’Economie, Wolfgang Schäuble: "On ne peut pas laisser des élections changer quoi que ce soit." Voilà. Tout est dit. Et sobrement.