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Montages - Page 4

  • Adieu les cons

    L’argile en séchant ouvre plus grand mes yeux, autrement dit mes paupières tombent irréversiblement.

    La libraire prétend avoir eu du mal à me reconnaître à cause de mon bonnet vert, mais elle m’appelle par mon prénom et me donne du tu. Je lui achète Le pur et l’impur. J’ai remarqué l’absence de h dans son prénom.

    La fête foraine bat son plein pendant le discours présidentiel. Des filles engloutissent des gerbes de barbe à papa plus grosses que leurs têtes.

    À cause d’une salopette je m’enferme aux toilettes plutôt que de me déboutonner à l’urinoir. Le film se termine par un heureux suicide.

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  • Cahors Mundi

    Une femme marche devant moi, son parapluie orange comme une vieille édition anglaise au pingouin, On The Road, la Beat Generation sur un boulevard, l’unique boulevard.

    Je demande à la brocanteuse si c’est de la faïence de Moustier ou de Montauban. Elle hésite, m’assure finalement que c’est du Martres. Elle me fait un prix, m’avoue que le regard du premier ministre lui fait peur, elle redoute les prochaines mesures.

    Comme je remonte le boulevard, un homme dit qu’il a réservé des billets d’avion pour Noël, pas certain cependant de pouvoir partir, mais assuré d’être remboursé en cas d’empêchement.

    La coiffeuse sort de son salon et me reproche de me garer là, d’y laisser trop longtemps ma voiture, trop souvent, je prends la place de ses clients. Je réponds que je comprends mais que je ne pouvais pas deviner le problème, la place n’étant pas officiellement réservée à la clientèle, c’est une place comme les autres, le long du trottoir. Elle me parle de savoir-vivre et de respect : je devrais bouger ma voiture tous les jours. Je ne suis pas entré dans un salon de coiffure depuis trois ans je crois.

    Sur une vieille porte, à la tombée de la nuit, un bouquet de roses desséchées, une carte avec le nom du professeur décapité, en sa mémoire, pour Samuel, lâchement assassiné.

    Au journal, une femme explique qu’elle lave sa vaisselle à l’eau de javel. Je remarque chaque jour de nouveaux insectes dans ma cuisine : un moucheron, une araignée, une minuscule limace. Je laisse les araignées tranquilles quand elles ne sont pas trop grosses, mais je me suis débarrassé d’un mille-pattes répugnant. Je lave le sol à l’eau.

    Je verse le café dans mon mug orange, PENGUIN BOOKS, Aldous Huxley, BRAVE NEW WORLD, A Novel.

    cahors

  • Nulle heure où dormir

    Peu importait l’heure, les réveils de brocante alignés sur une étagère métallique donnant des heures dépareillées, le cadran ridé de la grande horloge figeant le temps de la fête jusqu’à la fraîcheur de la nuit, la machine à bulles de savon peinant à fonctionner malgré les efforts des enfants qui en actionnaient la manivelle, le ronronnement du vieux compteur électrique soutenant l’immense guirlande lumineuse du vénérable chêne.

    Je me suis balancé dans un fauteuil en corde suspendu à une branche du chêne, puis j’ai attendu le lever du jour, allongé dans le camion. Il a plu enfin.

    Nous vivons parmi les insectes. Ils font vibrer l’air jour et nuit. Je connais la sensation du criquet qui se cogne contre mon ventre ou mon genou. Le phasme se tenait droit et immobile au bord d’une feuille de fraisier comme nous l’observions ce soir. C’est toujours le même phasme sur le même fraisier. La nuit, il faut parfois déloger un papillon du cou ou de la tempe. Je me demande comment les papillons de nuit vivent le jour et comment ceux du jour vivent la nuit.

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  • Distorsions lunatiques

    albert giraud,pierrot lunaire

    CUISINE LYRIQUE

    Ridé comme une pomme blette,
    Le Pierrot agite très fort
    Un poêlon, et, d’un brusque effort,
    Croit lancer au ciel qui paillette
    La Lune, la jaune omelette.

    Albert Giraud, Pierrot lunaire

    Des hommes tournent autour de la Terre et le tourisme n’a jamais aussi bien porté son nom. On les imagine dans l’espace mais ils sont aussi loin de la Terre que moi de la France quand je viens de passer la frontière belge. — On pronostique l’avènement du tourisme lunaire en 2024.

    Sur la table il y a un verre, une tasse, une carafe, une bombe et deux tubes de peinture, des piles de livres, un ordinateur, un scaneur, une imprimante, etc. J’écoute un sceptique qui dit que ces objets, s’ils devaient avoir une influence sur moi, y parviendraient de manière plus certaine que la planète Mars.

    Les croyances sont peuplées de détours et de subterfuges, de raisonnements obliques et de confirmations biaisées. Mon jardin poétique aussi, où se logent mes inquiétudes et mes rêveries. On a calculé trois fois mon ascendant mais je ne m’en suis jamais souvenu, et mon heure exacte est inconnue. Mon nom est Pierre, pas Pierrot, et j’enfile des perles sur le collier de mon scepticisme.

    Quant à la poésie, on la préfère muette ou travestie. Si elle brode les noms des astres, elle frise le ridicule. — Le sceptique dit que le sens n’immunise pas contre le hasard, la bonne foi contre l’erreur.

     

    albert giraud,pierrot lunaire

     

  • 中文流行音乐

    Aux échecs, le roque consiste à déplacer de deux pas son roi vers la droite ou vers la gauche, suivant l’horizontale, et placer ensuite la tour vers laquelle il se dirige sur la case attenante au roi, en sautant par-dessus lui. Dans l’art militaire, la rocade est une voie de communication parallèle au front permettant d’établir des liaisons entre les secteurs de l’arrière. Dans le domaine de l’urbanisme, c’est une voie de circulation rapide contournant ou longeant une agglomération.

     

    Je cours sur des rocades. Le soir, elles sont presque désertes. Hier soir, j’ai croisé une femme et un enfant. Je les voyais de loin ; ils avançaient en sens contraire sur le chemin départemental 938 qui est tangent à la départementale 938. Comme j’approchais, ils se sont retranchés devant le portail d’un pavillon. Ils interrompaient leur promenade par précaution sans doute ; les gouttelettes que je ne manquais pas de disperser étaient a priori suspectes, potentiellement couronnées d’une nuée de virions. La femme parlait à l’oreille du gamin : l’occasion d’une leçon de choses sur la transmission aérienne des agents pathogènes. Je ne les ai pas salués, supposant qu’ils craindraient plus encore la contamination si je dirigeais mes gouttelettes vers eux — la bilabiale du bonsoir aurait eu l’effet d’un tir de LBD. — Ce qu’on appelle la distanciation sociale.

     

    Je suis passé et repassé devant une villa vivante. La première fois, j’ai vu deux garçons en pyjama. L’un était assis sur un parapet ; l’autre debout dans l’herbe — d’une blondeur jumelle. La seconde fois, je les ai retrouvés jouant avec deux filles. — Une bâche de plastique est tendue sur la haie qui clôture la propriété, visible par les automobilistes qui roulent d’un rond-point à l’autre : "Pin-up Tattoo". Un peu plus loin, il y a une maison morte. J’y projette chaque soir des histoires de maisons hantées. Les volets sont fermés, la grille d’entrée menace de tomber, les herbes peignent un parc échevelé. Je me suis arrêté pour faire une photo. J’avais de la C-pop dans les oreilles.

     

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    Plus tard, j’ai croisé un joggeur ; nous nous sommes aspergés de bonsoirs. — Ce qu’on appelle l’humanité.