Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

folie minuscule - Page 116

  • À Monsieur de l'Olivier

    Contre moy de cholere, en voyant que je dis
    Que l’on voit nos François maintenant engourdis,
    À suivre la vertu tant estimée au monde,
    Que contre les vaux-riens incontinent je gronde,
    Ayant pour ma raison, que chacun va laissant
    L’estude et le sçavoir, qui s’en va perissant.
    Cela n’est-il pas juste, & mon cœur Satyrique
    N’est-il pas bien fondé sur une telle picque ?
    Qui seroit celuy-là, qui voyant en ce temps
    Chacun à qui mieux mieux prendre ses passe-temps
    Mais plustost demeurer tousjours grossier & rude,
    Et ne mettre jamais le pied dans une estude,
    Ne s’estomacqueroit, & des larmes de sang
    Connaissant ce mal-heur ne feroit un estang ?
    Toy mesme, cher amy Olivier, qui carresses
    Du Parnasside mont les pucelles Deesses,
    N’es-tu point courroucé, quand tu vois un bouffon,
    Un effronté friquet faire icy du profond,
    Du suffisant, du docte, & du fil de sa langue
    Faire à baston rompu une maussade harangue ?

    [...]

    Olivier, voila donc les fruits de l’ignorance :
    Voila comment par elle est piteuse la France,
    N’ayant plus de cerveaux, qui gravement posez
    Soient dedans les conseils tousjours bien disposez,
    À donner un advis qui son estat conserve.
    Et qui cause cela ? c’est que l’on voit Minerve,
    Apollon, & les Arts tellement à mespris,
    Que d’un plaisant fallot on fera plus de prix,
    Que d’un homme doüé d’une belle doctrine,
    Et plus plein de sçavoir que de fait & de mine.
    N’ay-je donc pas raison de paroistre songeard,
    Et d’estre tourmenté par un soucy rongeard :
    Et voyant, Olivier, que tout en mal se tourne,
    N’ay-je pas un sujet d’estre coüard & morne,
    Outre que quand l’on voit son estat definir,
    Chacun particulier s’en doit aussi sentir.

    Théophile de Viau, Le Parnasse Satyrique (1660), pp. 123-124

  • Quelques digressions sur ma prière pop

    ART POP-POÉTIQUE

    Il y a quelque folie ou quelque inconséquence à figer ses pensées en quatrains réguliers. Tout est parti du titre d’un article sur les "Jeunes Pop" dans Libération. Ces "Jeunes Pop", ce sont les jeunes de l’UMP, les jeunes de droite. Peu importe le contenu de l’article, hop hop hop, ma satire commençait aussitôt à s’écrire, avec l’idée toute simple de décliner le mot "pop", que l’usage a consacré dans le pop art et la pop music, mais qui appelait aussi le pop-corn, les fenêtres pop-up d’internet, et l’ineffable poppers. Chaque strophe commencerait par cette imploration répétée mainte fois dans le Parnasse satyrique de Viau : "Délivre-moi, Seigneur…" Le genre de choses que je lis le matin dans le métro sur ma précieuses liseuse, et qui rythme mes pas entre la station Assemblée Nationale et la rue de Grenelle, une fois sorti du métro, le livre refermé (la liseuse mise en veille, qu’on rallumera le soir). Les première rimes : "poppers" et "mœurs", "pop art" et "tarte" : assez pour être certain qu’il y aura poème. Le canevas va vite : tout est à peu près là en trente minutes, sur la pause de midi, puis les mots s’amusent, se bousculent, cela dure des heures, et même deux journées. Il n’y a rien à faire que délibérer, pour chaque situation, faire en sorte que les mots se mettent d’accord. Il faut prendre des décisions, trancher tel choix d’adjectif ou de rime pendant qu’ailleurs on laisse une situation instable en suspens, ne doutant pas que d’eux-mêmes les mots imparfaits, intrus ou importuns délogeront du carcan du poème et feront place à plus juste, mieux sonnant, plus précis ou plus équivoque (c’est selon).

    Je peine, en écrivant ces lignes, à me souvenir de la toute première version de la première strophe. Mais la voici :

    Délivre-moi, Seigneur,
    De la Jeunesse Pop,
    Qui, du pied gauche, foule
    Le Mariage, et refoule
    L’antique Calliope.

    Calliope est le nom d’une chatte qui un jour a frappé à ma porte, quand j’habitais à Fourmies. J’avais vingt-cinq ou vingt-six ans. Je l’ai recueillie, elle n’avait que quelques semaines, semblait se plaire chez moi. Les lundis après-midi, comme je ne travaillais pas, je faisais une sieste sur le canapé vert dans le salon, et Calliope dormait sur mon ventre. L’année suivante, j’ai déménagé à Valenciennes, et, un soir de juin, je n’ai plus revu ma chatte, à l’heure où je l’appelais en faisant tinter, sur son assiette, la cuillère avec laquelle j’avais servi le thon. Je l’ai retrouvée dans le jardin d’un voisin, roide, un trou dans le cou, croquée par un pitbull. Calliope, c’est aussi le nom de la muse de la poésie épique et de l’éloquence, et je voulais dire, dans cette strophe, ou plutôt, les mots me faisaient dire, par leur agencement, que les jeunes qui se battent pour l’hyménée omnibus (c’est ainsi qu’on appellera le mariage dit "pour tous"), en battant le pavé, mettent en pièce le mariage (ce qu’il représentait, symboliquement, et concrètement aussi, jusqu’à il y a peu) et, d’une certaine manière, ils achèvent, ils continuent d’achever (car l’agonie est lente) la Poésie. N’ayons pas peur des mots (ce n’est pas le genre de la maison). Imaginez une tragédie racinienne sur une hyménée achrienne, dont le coup de théâtre serait un coming-out : impossible (ou, je le concède : impossible pour moi, avec ma représentation du monde, des hommes et de l’art). — Ombre d’une fumée, enflure du vide, songe creux, divagation.

     

    TRAGŒDIA OMNIBUS

     

    PHÈDRE

    Hippolyte cruel, ton soudain comignoute
    Et ton cœur corrompu m’afflige et me dégoûte.
    Tu partais à la chasse, et ne courais que pour...
    Tes jeunes compagnons, et ce honteux labour
    Qu’une femme séduite, de Vénus la risée,
    Ne peut imaginer qu’avecque la nausée.
    Et, pour le dire encore, en sortant du placard,
    Tu m’as fendu le cœur et filé le cafard :
    Devant toi, effondrée, Phèdre perd les pédales.
    À l'infâme récit de tes lèvres fatales,
    Sa raison se dérobe et son cœur se défait.
    Son amour insensée doute de ton méfait...

    Las ! Des pâles mignons tu recherchais les croupes
    Et le commerce impur. Mais j’appelle les troupes
    De tous les dieux vengeurs...

    HIPPOLYTE

                                  Phèdre, il faut m’écouter
    Car les lois ont changé : je m’en vais vous conter
    Les glorieux progrès du président Hollande,
    Et d’une nation la généreuse offrande
    Aux hommes comme moi, exclus, discriminés,
    À d’injustes tourments trop longtemps condamnés.
    Ne croyez que je sois un achrien volage :
    D’un seul j’aime le cœur, le corps et le jeune âge.
    Il se nomme...

    PHÈDRE

                   Tais-toi, car je ne puis ouïr
    Le grotesque récit d’une comédie queer.
    Je connais cette loi de terrible hyménée
    Qui donne tous les droits à l
    ’âme efféminée.
    Quoi, avec ton mari, tu jouerais aux pampers,
    Quand ta race te dit de conquérir la Perse ?
    Tu laisses les forêts et délaisses ton rang
    Pour épouser un homme et l
    ’aimer jusqu’au sang ?
    Est-ce là le destin de cette triste époque ?
    Mais silence ! Voici Œnone qui me poque...

     

    Quoi d’autre qu’un drame larmoyant, comme les drames bourgeois du XVIIIe siècle ou les drames romantiques qu’on ne lit plus guère : prenons l’un de ces témoignages de couples composés-décomposés-recomposés, l’une de ces tranches de vie à la sauce open-citoyenne dont Libération a le secret. J’imagine cependant des merveilles de marivaudage (que je me sens bien incapable d’écrire) auxquelles ne pouvait certes pas prétendre Le gros, la vache et le mainate : histoire grotesque d’un couple d’hommes dont l’un accouche (c’est ainsi) d’un enfant. Va pour la comédie à grosses ficelles au Théâtre du Rond-Point, j’ai beaucoup ri.

    Avant Calliope, j’avais pensé à Mérope. Et puis ça n’allait pas. Il y avait pourtant bien un rapport avec le mariage, mais ce nom qui me plaisait aurait fait boiter d’emblée le poème. On l’aurait cru inutilement abscons. "L’antique Calliope" est devenue "La vieille Calliope" (un peu moins ronflant). Et puis ça n’allait toujours pas. Alors, il m’est apparu que la strophe ne pouvait marcher avec le seul pied gauche. J’ai donc ajouté le droit, et c’est tout naturellement que j’ai laissé tomber la "vieille Calliope" pour les "instincts de salope" :

    Délivre-moi, Seigneur,
    De la Jeunesse Pop,
    Qui, du pied gauche, foule
    Et du pied droit, refoule
    Ses instincts de salope.

    Je ne suis pas D’Aubigné, qui peint la France en deux enfants ennemis aux mamelles écartelées d’une mère douloureuse, mais enfin, comme ça c’est dit, et redit, que je ne suis ni de cette gauche-là ni de cette droite-là. Ça s’est écrit presque tout seul, malgré moi, et mieux que je ne le fais dans cette glose, pardon, un peu lourde. Mais c’est bien moi, et je m’y reconnais.

    Lire la suite

  • [Texte manquant]

    J’ai mal au dos; rien de plus commun ni de plus douloureux. Ça m’a pris dimanche matin, après une longue douche brûlante et un sms d’Olivier qui ressemblait à un champ dévasté par des bombes, où les trous étaient figurés par les exaspérants "textes manquants" répétés trois ou quatre fois entre crochets — la communication numérique a horreur du vide, c’est pourquoi il a dû paraître préférable de privilégier une transmission des messages instantanée quoique incomplète, plutôt que de les retenir tant que le réseau, comme on dit, ne permet pas de les envoyer dans leur intégralité. Olivier, je lui avais écrit — j’étais à Aubry, chez mon père —, samedi matin, tandis que je fumais sur la terrasse en buvant mon thé, que je l’imaginais dansant — et je le voyais très précisément, comme j’ai pu l’observer plusieurs fois déjà, avec cette vitalité, cette flamme dans les yeux, et ce bonheur à l’écume des lèvres où le jeu innocent et presque enfantin peut virer au désir le plus sauvage. [Texte manquant], [Texte manquant], [Texte manquant]: c’était assez pour imaginer l’irréparable, à partir de ce sms tronqué où je voyais, derrière son nom, poindre le sourire et l’offrande charnelle d’un chanteur que nous avions rencontré au début de l’été, et avec qui Olivier avait, depuis cette soirée de dernière de spectacle, eu quelques échanges sur Facebook. Je comprenais, dans ce message lacunaire envoyé à quatre heures du matin, qu’Olivier avait été invité à un anniversaire, qu’il dansait, et que, par hasard, ce garçon était aussi de la partie. Et que se passait-il? Pas l’irréparable (qui ressemble trop à un titre de roman), mais l’insupportable, ou la peur et la douleur de l’humiliation, la déception en tout cas; en somme, assez de désordre sentimental pour être mortellement jaloux, comme j’ai fini par l’avouer aujourd’hui à Olivier.

    J’ai déjeuné avec lui ce midi. Pendant que je l’attendais au Mucha, raide comme un piquet, je lisais un mail qu’il a adressé à un romancier, et qu’Yves-Noël a publié, avec l’indiscrétion et le culot qu’on lui connaît, sur son blog. À la pharmacie voisine, Olivier m’a acheté des comprimés pour décontracter mes muscles. Il était curieux de savoir comment je réagirais une fois que je les aurais avalés, ce soir: je suis rentré chez moi plus tôt que d’habitude, profitant de ce que j’étais très en retard à la réunion de rentrée qui se tenait au lycée Louis-le-Grand et à laquelle tous les employés de ma direction devaient assister pour n'y pas assister du tout — mon retard étant dû à une urgence au bureau, mais je n’imaginais pas entrer dans l’amphithéâtre une demi-heure après mes collègues, et les coups de freins du bus, comme autant d’aiguilles dans ma chair, ont achevé de me déculpabiliser —; j’ai avalé deux comprimés avec un verre d’eau, me suis déshabillé, ai enduit mon dos de baume du tigre, puis me suis allongé après avoir fermé le volet et posé une serviette sur le drap et l’oreiller afin que qu’ils ne s’imprègnent pas de l’odeur trop forte du baume. 

    Dans mon rêve, il y avait beaucoup d’inquiétude à cause d’un orage, ou de plusieurs orages qui se succéderaint et qui semblaient provoquer la même angoisse que la perspective de la collision entre la Terre et Melancholia. Il faisait nuit, on disposait de fauteuils de jardin tendus de toile blanche. Il y avait beaucoup d’invités: je me souviens de mouvements dans les jardins, de personnes qui allaient et venaient entre les fauteuils, ne sachant s’il fallait rester dehors ou rentrer, se mettre à l’abri, se protéger de l’orage ou aller danser — car il s’agissait peut-être d’un mariage. Les jardins étaient comme des cercles concentriques autour d’une vaste maison, blanche comme tout le monde là-bas (de couleurs, il n’y avait que le blanc des vêtements et des murs de la maison, le vert des pelouses, et le noir du ciel, mais le blanc et le vert étaient aussi clairs qu’en plein jour). Il y avait surtout une boutique de vêtements où je m’attardais avec ma fille — car je me tiens toujours un peu loin des événements, quand je suis avec elle, et ce week-end, précisément, je l'avais emmenée chez mon père,  et les presque quinze heures de voiture n’étaient sans doute pas pour rien non plus dans mon mal de dos soudain. Je lui choisissais une tenue, même si je comprenais bien que la fête s’achevait déjà. Il fallait parler allemand car c’était la langue de la vendeuse, et cela compliquait un peu les choses. Elle ressemblait à Elisabeth Levy (mais une toute jeune Elisabeth Levy), dont j’ai lu ce matin un portrait paru dans Libération en 2010, la journaliste posant chez elle, dans une pause exprimant parfaitement l’intelligence aiguë et l’insolence qui la caractérisent (mais l’intérieur de la boutique était aussi blanc et aéré que le bureau de la journaliste paraissait encombré et désordonné). Je me débrouillais correctement, cherchant mes mots mais parvenant à me faire comprendre malgré tout (la vendeuse soutenait mon regard, m’aidant parfois quand elle devinait ce que je voulais dire — j’étais le seul client, c’était l’heure de la fermeture), mais c’était très lent, et je passais un temps infini à choisir un chemisier blanc extrêmrment délicat composé d’un tissu transparent et brillant recouvrant un autre, opaque, et d’un col que je ne saurais décrire tant il était caché par quantité d’épingles à cheveux qui en pinçaient le pourtour (de l’exacte façon dont on pince, dans les parapheurs ministériels, les feuilles avec des trombones, en prenant soin de placer, entre le métal et la feuille, un morceau de papier plus épais, de façon à ce que la feuille, support d’une note de service plus ou moins importante, ne soit pas marquée par le vulgaire trombone, comme je garde sur la joue la rigole d’un pli de drap depuis que je me suis levé tout à l’heure). Le plus étonnant, ce furent ces trois cintres que je voulais acheter également: l’un en plastique brun, le genre de cintre au fuselage assez arrondi et assez épais pour empêcher qu’une chemise ou une veste se déforment dans l’obscurité et l’oubli d’une penderie; les deux autres en métal, de la qualité médiocre des cintres qu’on utilise dans les pressings, l’un tout à fait banal, et l’autre joliment travaillé, le métal ayant été tordu, courbé, dessinant comme des feuilles ou des pétales. Je demandai le prix des cintres, que je tenais dans la main gauche, et la vendeuse me répondit que c’était à moi de proposer un prix.

    Tout cela est assez étrange, et il est tellement exceptionnel pour moi de me souvenir d’un rêve (c’est sans doute là l’effet des comprimés que j’ai avalés avant de me coucher), que je me suis empressé de le noter. Je vois bien quel pourrait en être le texte manquant, mais je préfère que mon texte reste flottant.