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folie minuscule - Page 15

  • Le bonheur est toujours un échange

     

    ou 

    dans les choux

     

    ou 

    la pute, la danseuse et la reine

     

     

    Avant d’aller au marché, j’ai scrollé les actualités sur Facebook : des stylos rouge sang, un nouveau mensonge d’arracheur de dents du ministre de la santé, des publicités pour des masques chirurgicaux à acheter par lots de cent, et d’autres, plus sophistiquées, pour des masques urbains prêts à se fondre dans le chic du premier costume déconfiné, et des visières, casquettes-visières, chapeaux-visières, bobs-visières, visières anti-UV aux bruns dégradés qui vous protégeront élégamment dans les rues infectées comme le ferait la vitre teintée du plus désirable SUV. — Puis ce témoignage d’une femme qui travaille dans un centre d’écoute téléphonique, elle relatait les appels de détresse des prostituées du Bois de Boulogne, une jeune fille de l’Est, le pays n’était pas précisé, elle était arrivée en France à l’âge de quatorze ans, j’aimerais me souvenir de son prénom, elle n’avait pas vu son maquereau depuis le début du confinement, il ne l’avait pas payée, elle continuait de faire des passes, n’avait plus de toit, dormait dans le bois, se lavait avec des bouteilles d’eau, elle toussait au téléphone, certains clients portaient un masque, lui en donnaient, l’un deux lui en avait même confectionné un avec du papier toilette, la plupart s’en passaient, et puis une autre fille avait appelé, la première était morte, le corps immobile dans une allée du bois, elle est morte hier, et quelques minutes après que j’ai partagé ce témoignage, le post a disparu du réseau, je l’ai recherché sur la page de l'ami qui l’avait partagé quelques minutes avant que je le partage à mon tour, il n’y était plus non plus, juste ce message indiquant que le contenu avait dû être supprimé par la personne qui l’avait initialement publié, mais pourquoi ? Les prénoms de ces filles qui les exposaient, le risque d’une descente de police, la surveillance orwellienne du réseau ?*

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  • Bulle

     

    Ce qui suit est une scène téléphonique.

     

    Je ferme les yeux. Les images vont arriver, les décors vont arriver. Accueillez les images comme elles viennent. Je vois en face de moi un homme qui joue au golf. C’est très étonnant. Il est dans une autre dimension. Il est dans un monde où il est coupé du reste du monde. Je le vois d’une autre planète. Il joue au golf et il est tout seul. Il a des gestes répétitifs. Ils est très précis dans ses gestes. Il pose sa balle blanche sur un petit truc. Il y met son intention, son intention étant de viser plus loin, après il envoie la balle, mais il fait ça tout le temps. C’est comme s’il tournait en rond, dans cet instant où il met son intention, mais ça ne fait rien dans la réalité. On me dit que c’est une boucle temporelle que vous avez. C’est comme s’il fallait réveiller une partie de vous. Cet homme, vous pouvez le contacter en rêve. C’est comme si je vous voyais en train de dormir et qu’il était quelque part en vous… C’est comme s’il fallait le réveiller et dire : "hé ho, t’es dans une bulle, là, il va falloir te réveiller ! T’es dans une bulle intemporelle et tu tournes en boucle…" Lui, il ne sait pas qu’il répète le même mouvement depuis… En tout cas, c’est une histoire que votre égo en partie se raconte. Il est tout seul, il n’y a vraiment personne autour de lui, il n’y a même pas d’animaux. Il n’a même pas remarqué qu’il était seul en fait, c’est vraiment une bulle.

    Et quand j’arrive vers lui et que je pose ma main sur son épaule pour lui dire que je suis là, en fait je le gêne parce que je le déconcentre dans son intention de poser la balle comme il faut. C’est comme un TOC.

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  • Dérive sur l’injonction à penser "demain"

    — Demain, de mane : au matinde bon matin dans la Vulgate. Où tout commence, tout recommence, se répète ou fait peau neuve. — La poétesse fait un vers pour les dictionnaires : "Hier, c’est le regret ; demain, c’est l’espérance." — Le pompeux poète brosse la fresque du "fier demain" contre le "funeste aujourd’hui". — Mais quand il saisonne en enfer, le voyou ne prononce jamais le mot, même dans "Matin", n’y concédant demain que dans le lendemain, et encore s’en prive-t-il absolument, car "Plus de lendemain, | Braises de satin, | Votre ardeur | Est le devoir." — Je me souviens des poèmes gothiques où l’on dit l’endemain qui sonne comme l’entrain. — J’en découvre un mystique, et c’est l’incantation où notre dernier demain rime quatre fois avec la main. — "Jouis. — Je le ferai. — Mais quand donc ? — Dès demain."

  • Spleen

    — Je ne ne touche plus de peau que la mienne, n’ausculte de corps que le mien, ne fleure d’odeurs corporelles que les miennes, n'étant jamais resté aussi longtemps avec moi-même. Ce n’est ni désagréable, ni monotone, ni ennuyeux. Cela peut durer encore, mais il faudrait que cela dure longtemps : un an, comme cet écrivain qui raconte son année de repli volontaire entre quatre murs pour provoquer l’écriture qui jusque-là n’advenait pas, ne sortant qu’une fois par jour pour un paquet de cigarettes et quelques courses, mais silencieux toujours à l’extérieur, ne disant plus bonjour. Il avait coupé son téléphone, ses amis étaient prévenus. Un an sans parler. C’était avant les réseaux sociaux. Aucune interaction. Échanges limités à quelques transactions routinières et silencieuses.

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    — Mon cher, vous connaissez ma terreur des voitures, des vélos et des trottinettes. Tout à l’heure, comme je traversais le boulevard, à grande hâte, et que je sautillais dans la boue, à travers ce chaos mouvant où la mort arrive de tous les côtés à la fois dans le silence des moteurs électriques, mon masque, dans un mouvement brusque, a glissé de mes oreilles dans la fange du macadam. Je n’ai pas eu le courage de le ramasser. J’ai jugé moins désagréable de respirer l’ai virulent que de me rompre les os. Et puis, me suis-je dit, à quelque chose malheur est bon. Je puis maintenant me promener à visage découvert, faire des actions basses, et me livrer au baiser du premier inconnu, comme un simple mortel. Et me voici, tout semblable à vous, comme vous voyez !

  • The Queen

     

    J’ai terminé Moby-Dick. La voix du lecteur est restée dans mes oreilles, son timbre, son rythme, son phrasé, c’est lui, la voix d’Ismaël. Je n’ai pas lu Moby-Dick et ne le lirai peut-être jamais, cette fameuse chasse à la baleine, l’un des plus puissants récits romanesques de l’époque moderne dit-on, c’est ce que j’avais dans l’oreille, on en parlait avec admiration, je suis passé à côté, j’ai aimé pourtant, mais vaguement, dans mon écoute reprise maintes fois, l’épopée maritime et ses mots étranges, si, quand même, j’écouterai encore, ou je lirai la chute dans la baleine, la mort dans le puits de la baleine, le puits creusé dans la tête de la baleine, la noyade dans la graisse de la baleine, le spermaceti, je ne connaissais pas ce mot, il résonne encore, je cherche sa définition : pendant longtemps on a cru que c’était la semence de la bête, la tête fabriquait le sperme ! La scène est formidable au sens propre : terrifiante. — C’est Renaud Camus qui m’a appris cela, le sens littéraire de cet adjectif auquel je pense chaque fois que quelqu’un dit "formidable", Renaud Camus, je m’étais régalé de son Dictionnaire des délicatesses du français contemporain. Mais depuis quelques années, il est illisible, égaré dans sa théorie du "grand remplacement", et je vois qu’il persiste à lire notre époque à travers ce prisme obsédant de l’invasion des populations islamiques, de l’anéantissement des populations européennes et de leur culture multiséculaire, je le lis sur son compte Twitter : "L’essentiel pour le pouvoir génocidaire c’est que la crise sanitaire ne nuise pas au génocide par substitution. Les précédents étaient pareils. Leur pays était en ruine, leur peuple crevait de faim, mais ils veillaient à ce que les trains pour les camps partent bien." Formidable en effet.

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  • Rien n’y fait

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    Je tourne peu de pages, j’écoute les livres. Que se passait-il hier, cette torpeur ? J’ai éteint mon téléphone, posé l’ordinateur sur le bureau, lancé Moby-Dick un peu au hasard vers la quarantième minute, j’en étais resté à peu près là, je voulais retrouver le narrateur dans sa chambre, l’écoutant dans la mienne. Il avait hésité beaucoup, l’aubergiste lui ayant proposé de partager le lit d’un cannibale qui tardait à rentrer, mais le banc, là, ferait sans doute l’affaire, quoi, attendre dans son lit le retour d’un inconnu qui vendait nuitamment des têtes de mort, le banc serait plus sûr, l’aubergiste entreprit de le poncer pour le rendre plus accueillant, ramassa les copeaux de bois répandus sur le carreau, le banc était trop court, il n’y avait rien à faire, il eut beau le déplacer, tenter de dormir les pieds contre un mur, c’était trop inconfortable, il se résolut à accepter la chambre et peut-être la saleté, et peut-être la mort, mais il fallait dormir, l’aubergiste se voulait rassurant mais ne parvenait pas à apaiser le narrateur. La chambre n’était pas si mal finalement, il s’allongea, à quoi pensait-il donc, sa crainte de voir surgir le cannibale, cette dernière tête qu’il veut vendre cette nuit car demain c’est dimanche et qu’aucun chrétien n’achètera une tête de mort à un païen le jour du Seigneur, le souffle coupé sous la couverture en attendant la mort peut-être, et voilà qu’entre le cannibale, il tarde à se coucher, il ne remarque pas tout de suite celui qui raconte son absence depuis tout à l’heure. L’ordinateur s’arrête, je dormais presque, ils avaient peut-être déjà embarqué, ils étaient devenus amis, partageaient le même lit, le visage buriné, entièrement tatoué, Queequeg l’imprononçable parlait une langue incompréhensible, il prenait soin de rester au bord du lit pour laisser suffisamment de place à son compère, ils étaient donc devenus amis, combien de jours et de nuits durèrent les préparatifs, le cannibale au tomahawk ne lisait pas mais comptait les pages des livres en s’émerveillant du nombre de lots de cinquante qu’il parvenait à dénombrer, émerveillé plus encore de ce que le narrateur lui faisait la lecture. Il fit une telle impression quand il mania le harpon qu’on lui promit 1/90ème de la recette quand le narrateur avait difficilement négocié 1/300ème. Ils allaient embarquer sur le baleinier. J’ai repris le fil à une heure sur le livre audio, une pâte de henné étalée sur mes cheveux enfermés dans un film plastique, protégés des rayons du soleil par une serviette sombre, une pâte d’argile sur le visage dans les vingt dernières minutes, avant de rincer tout ça pour réapparaître comment... 

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