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folie minuscule - Page 59

  • Aller-retour

    Le coffre ne s’ouvre plus. J’y pénètre par la banquette arrière, suivant les instructions du manuel. Comme il fait noir, je télécharge une lampe-torche. J’enfonce la pointe d’un fin tournevis dans le trou indiqué sur le schéma, et aussitôt la serrure se débloque avec le bruit familier du coffre qui s’ouvre, comme une notification mécanique. Cela ne sert à rien : sitôt le coffre fermé, il persiste à le rester. C’est une panne électronique. Je regrette ma vieille voiture où les clés étaient fées.

     

    Le trajet dura quatre heures. Ma passagère écoutait un podcast chamanique derrière ses boucles blondes.

     

    Pour l’hôtel, on fera tout au moyen d’une carte magnétique : entrer dans le hall et dans la chambre, allumer la lumière. La harpiste a déjà perdu trois cartes. Elle en rit devant l’ascenseur. Le code de l’ascenseur est un code postal parisien très chic.

    On avait travesti mon amour. Dans l’opéra, on dansait avec des balais. Un soir de relâche, on dansa dans un vieux dancing. Comme je fumais à l’entrée, les videurs me confièrent qu’il n’y avait pas assez de viande sur la piste de danse pour laisser entrer cinq garçons affamés.

    J’avais sillonné la ville dans tous les sens. Le plus fantastique, c’était le rassemblement des oiseaux tous les soirs, aux mêmes heures dans les mêmes arbres, leur vacarme et leur odeur.

    Je remis le petit bouddha à sa place sur l’étagère. Laissai sur l’oreiller un poème américain. Poème d’homme pour une fois.

     

    Le trajet dura quatre heures. Ma passagère se plaignit de la difficulté d’un poème en prose que sa fille devait expliquer.

     

    Les boutiques de cigarettes électroniques pâtissent de l’inanité de leurs enseignes. Le vendeur désœuvré a des talents d’aquarelliste. Il faisait du gris quand je l’ai dérangé. Comme je le complimentai discrètement, il reconnut que les pinceaux et les pigments naturels étaient plus savoureux que les arômes frelatés qu’il me vendait.

    Je me privais de lait de vache depuis trois jours, j’en étais malheureux.  Je mangeais à des heures bizarres. Je surveillais mon corps. Faisais d’inutiles calculs sur les âges de ma vie. Avais des souvenirs par dizaines d’années, des envies à la pelle mais l’incapacité de les dessiner.

    On déplacera un jour ce couvercle de granit rose pour y déposer un autre cercueil. Ce matin, nous l’avons lavé, mon père et moi, et taillé l’arbuste épineux chargé de fruits rouges gonflés de pluie. Les plaques commémoratives s’oxydent, l’or des lettres se ternit par endroits. Je lave aussi les trois petits galets verdis par des mousses.

  • CIEL / TERRE (jeu d'enfant)

    Respirer d'une certaine manière — autre que la commune manière.

    Pratiquer chaque jour la louange — qui est une sorte de musique.

    Observer les pleins et les vides pour deviner de quel bois on est fait aujourd'hui.

    Utiliser plutôt une cuillère en bois d'olivier car les champignons s'y plaisent mieux.

    Allumer un feu au milieu du chant nocturne des grenouilles qui s'altère en quasi demi-tons autour d'un naïf mi bémol.

    Dénoyauter des prunes à cochon à s'en vernir les doigts — les cuire longuement à feu doux pour les réduire en une sombre bouillie.

    Donner son signe à la première venue — étant soi-même un premier venu.

    Ouvrir le livre au hasard — certain que cette page seule en réanimera le désir.

     

    — Tout ici se relie, des racines de la menthe sauvage qui borde le jardin aux sommeils qui profitent de la nuit.

     

    ciel_terre.jpg

  • Y _ _ _ _ _ _ _ R

    Marguerite, faisant référence au sien — qu’elle et son père s’étaient amusés à recombiner —, comprenait tout à fait qu’on changeât son patronyme, qu’on s’en inventât un tout neuf, qu’on en controuvât un qui fût parfaitement sien, sans généalogie autre que celle, imaginaire et hypothétique, de l’œuvre à venir. Pour ce qui est du prénom en revanche, elle ne concevait pas qu’on le quittât.

    Marguerite et Greta ont la même origine. Elles sont perles en persan — non fleurs —, ce qui donne un lustre nouveau à "L’huître" de France Ponge. Magicmaman.com cite quantité de célèbres Marguerites, Margarets et Gretas. Il fournit aussi des données chiffrées sur la popularité du prénom Greta de 1904 à 2016. On apprend ainsi que 204 personnes portent ce prénom en France, dont 204 femmes et 0 homme. On observe un pic en 1990 avec quatorze nouvelles-nées prénommées Greta. Gageons que la mort de Greta Garbo et les hommages qui l’accompagnèrent n’y sont pas étrangers. Gageons qu’un nouveau pic est à prévoir pour 2019.

    marguerite yourcenar,greta thunberg

    Quelle sorte de lettre écrirait la Marguerite qui fut la première académicienne française au siècle passé à la Greta la plus visible du siècle en cours ? Prendrait-elle sa plume le 11 octobre 2019, jour de la proclamation du Prix Nobel de la Paix ?

    Il n’est pas certain que nous puissions encore longtemps caricaturer ses nattes ni retwitter les tartufferies de nos dirigeants car il n’est pas certain que l’eau coule encore longtemps au robinet ni que les données numériques continuent d’affluer sur nos écrans. Cela ne m’empêche pas cependant de pédaler dans ma salle de sport devant un écran tactile qui me précise combien de kilomètres je parcours sur place — manière de passer le temps en écoutant toutes les perles archivées sur le web.