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folie minuscule - Page 63

  • Déconnexion

    J'avais dû retourner au bureau à l'heure du déjeuner, un aller-retour au soleil pour une carte SD. Je sentis une présence anormale, quelqu'un qui aurait dû me dépasser mais qui continuait de marcher au même rythme que moi. Il me complimenta, mes chaussures, ce devait être des Clarks, non, c'était une autre marque, je ne savais pas, l'intérieur était rouge, mais la marque, je ne savais pas. Ce n'était pas facile, il fallait payer pour tout. Il me dit au revoir, s'éloigna, rejoignant un groupe d'hommes attroupés devant un vieux bâtiment.

    On passait la journée au conseil régional, on filmait dans l'hémicycle. Le bois clair et la blancheur étaient épuisants.

    Dans la station de métro, un jeune homme pleurait. J'étais au guichet automatique, je rechargeais ma carte. Je lui donnai un billet de cinq euros. Qu'est-ce qui le mettait dans cet état? L'auberge de jeunesse lui coûtait vingt-sept euros par jour. Le visage tordu de désespoir et beau cependant, il puait sans doute autant que Rimbaud à ses heures les plus anarchiques.

    Clélie voulait des écouteurs sans fil. Le vendeur me proposa différentes options d'assurance, il proposait même d'assurer tous les appareils connectés de la maison. Je lui répondis que j'étais plutôt en voie de déconnexion. Je venais pour des écouteurs et me retrouvais au bord de signer un contrat d'assurance! On pouvait assurer ces minuscules écouteurs contre le vol, la casse et la rouille pour sept euros par mois. Il n'insista pas, ayant remarqué le selle de mon vélo que j'avais décrochée pour éviter de me la faire voler.

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    C'était son anniversaire, quinze ans! Quand elle monta dans la voiture, je remarquai sa nouvelle montre. Cet écran flatteur, ce noir uni qui n'affiche rien, pouvant tout afficher. La machine compterait ses pas, évaluerait la qualité de son sommeil, répondrait instantanément à la moindre de ses requêtes.

    J'avais préparé une génoise très citronnée, fourrée avec un confit de pommes et de noisettes, recouverte d'une ganache de chocolat au lait. On parla des élections. L'un allait étudier les programmes de campagne. L'autre voterait Macron. Je m'abstiendrais. Le cidre était trouble. Je jouais avec mon neveu, poussant le carton dans lequel il s'était assis. Il riait de bon cœur. Je lus, en petits caractères, sur le boîtier des écouteurs: "designed in California / assembled in China". Des tonnes de matière pour extraire les quelques grammes de métaux rares nécessaires à la confection de ces accessoires.

     

     

    Et moi, je continue de rêver d'une cabane et de l'herbe mouillée du matin, je rêve d'ouvrir une porte en bois qui grincerait un peu et d'humer l'air de la saison, je rêve de rêver la journée qui commence.

     

     

  • Sa vérité au vent

    C'était un drôle d'anniversaire. Le gâteau figurait un certain Georges. Un personnage de dessin animé. Je dis cela car le lendemain je feuilletai Un certain Plume. Et je feuilletai aussi un recueil jauni d'Alain Bosquet qui me parut si familier que presque j'en pleurai.

    Georges était au chocolat, le gâteau brun recouvert d'une peau rose et d'un habit rouge. Les pieds étaient en pâte d'amande. On rompit le second pied, il y avait deux amateurs.

    Le petit souffla les trois bougies, et les ressouffla. N'y goûta pas, à Georges. Mangea une crème dessert.

    Je fus tout à fait nul. Sur les huit premières questions, je ne comptais que trois bonnes réponses. Je n'avais aucune idée de l'heure de sa naissance, ne connaissais pas tous ses prénoms, m'étais trompé sur l'âge de ses premiers pas, ne connaissais pas son dessin animé préféré.

    J'étais préoccupé par un certain H qui se débattait contre père et médecins. C'était un garçon mais tout le monde ne semblait pas d'accord. Je me familiarisais avec ce drôle de verbe de mégenrer qu'il m'avait fait découvrir. C'était devenu plus clair pour moi : "mégenrage / mais j'enrage !"

    Ce soir-là je fus Monsieur Personne.

    Mais:

    Monsieur Personne
    effacera les villes,
    s'enivrera de vieux royaumes
    comme de vins mal digérés,
    s'inventera une âme...

    C'est du Alain Bosquet.

    Le lendemain, au milieu des passants, un peu en retrait dans un pseudo-café, j'écrivis quelques vers.

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