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  • Maxime pour les jours solitaires

    « L'homme obligé de renoncer aux habitudes de ses contemporains pour parvenir à être heureux ressemble à celui qui, à cette fin, a recours à l'opium. »

    C'est par cette phrase que Stevenson commence son essai critique sur H.D. Thoreau intitulé Un roi barbare. Voilà, pour se garder de tout orgueil, une sentence à graver au couteau sur le fronton de sa cabane le jour où l'on décide de vivre en ermite dans les bois. Afin de se rappeler que toute tour d'ivoire est un paradis artificiel.

    Sylvain Tesson, Géographie de l'instant

  • OPÉRATION RÉSILIENCE

    Drame télévisé en un acte

     

    PERSONNAGES

    Le Sage
    La chienne de garde
    Le chien de garde

     

    La scène se passe sur le plateau d’une chaîne d’information continue. Le Sage, resté chez lui pour cause de confinement, s’exprime au téléphone. La chienne l’a présenté comme docteur ès résilience, mais le début de l’interview a été coupé au montage. Le chien est né dans la première moitié du siècle précédent et continue de faire le beau à la télévision.

     

    LE SAGE

    Le confinement est une protection nécessaire, physique, mais c’est une agression psychologique. Dans un premier temps, les gens vont s’adapter, mais ceux qui, avant le traumatisme, avaient acquis des facteurs de vulnérabilité, vont mal supporter le confinement, alors que ceux qui avaient acquis, avant le traumatisme, des facteurs de protection, ceux-là supporteront et peut-être même profiteront du confinement pour plus de créativité pour modifier les rapports sociaux.

    LA CHIENNE DE GARDE

    Vous parlez de catastrophe et pas de crise, parce que vous dites que ce qu’on vit, c’est une catastrophe, d’autres disent, le président dit « c’est une guerre », et rien ne sera plus comme avant… euh… cela veut dire que… il y aura des choses terribles, mais aussi peut-être des choses positives ?

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  • Contagion, prévision, oscillation

    200325_graphique_le_monde.JPG

    Je cherche les courbes du jour, elles ne s’affichent pas, il est trop tôt, la nuit est là, les graphiques restent coquilles vides tandis que les oiseaux réveillent le jour. Dix mille, trente mille, cinquante mille sur l’axe des ordonnées, point de courbe mais deux points dans la surface vide du graphique : deux pays, États-Unis, Corée du Sud, le premier sous la barre des cinquante mille, le second sous celle des dix mille Infectés. Hier soir, la courbe des États-Unis suivait une exponentielle plus forte que les autres, ironique performance étasunienne, j’observais les courbes des pays, frappé encore par la lecture de Giordano, sa mathématique de la contagion. La contagion africaine semblait anecdotique, les infographies lui donnaient l’apparence d’un toussotement inoffensif, mais j’ai lu Giordano, j’avais bien compris déjà, j’ai lu Giordano et je comprends que la contagion explosera en Afrique, qui sait, dans un mois. Tout cela est prévisible, non, tout cela est prévu — je comprends ce distinguo dans la tribune matinale d’un sociologue qui veut instituer un parlement du coronavirus tandis que le président vient d’installer un nouveau comité d’analyse, de recherche et d’expertise. Il est prévu que la contagion gagne toutes les parties du monde jusqu’aux confins des tribus des forêts et des minuscules chambres universitaires, la contagion sublime, celle qui n’a de frontières que les parois cellulaires, milliards de milliards de milliards de frontières vulnérables. Les courbes sont de toute façon invisibles. Le Monde les publie mais les réserve à ses abonnés : combien sommes-nous, la communauté des scrutateurs de courbes et des lecteurs du journal de confinement d’Éric Chevillard ? Car l’un compense l’autre dans mon oscillation quotidienne entre données factuelles et délires animaux — la courbe de mon intellect, celle de mes affects, une troisième pour la recherche de la sagesse, une quarte courbe pour la fureur poétique. Mais les courbes demeureront invisibles dans l’espace public, la rhétorique gouvernementale fourbit ses éléments de langage pour le commun des Susceptibles, les courbes métaphores, les courbes euphémismes : les mots courbes cachent la catastrophe comme si le deuil du monde n’avait pas commencé.