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  • Erreur 407

    Une araignée a profité de la situation —
    Je la soupçonne de guetter ses proies —
    Dans les anfractuosités —

     

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  • Encre

    Il fait noir dehors, c’est lune décroissante ; au bord de la fenêtre une paire de mains comme d’un intrus ou d’un amant qui voudrait entrer incognito ; un homme de dos fixe les mains, il est à table, boit un café fumant ou un thé, fesses et cuisses charnues pesant sur la fine structure métallique d’une chaise dont le siège et le dossier semblent de corde ; un autre homme assis en face de lui, légèrement décalé, regarde dans l’autre direction, une tasse fumante dans la main droite, le coude calé par le poignet de la main gauche où se consume une cigarette, ses pieds dépassant sous la nappe. Son expression est aussi impénétrable que le visage de Wenjie. Est-il inconscient de ces mains qui annoncent l’intrusion prochaine ? Attendent-ils un amant ? — Je suis idiot : l’intrus est un esprit.

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    © Wenjie Ding, L'esprit sous le clair de lune

  • Farewell poem

    Là où le bleu des collines fend le ciel du septentrion,
    Bien au-delà du fossé qui encercle la cité,
    Nous nous sommes arrêtés pour nous dire au revoir.
    Un voile blanc s’est couché sur l’horizon ;
    Ton cœur était gonflé de pensées vagabondes ;
    Pour moi, c’était assurément le coucher du soleil.
    Nous avons cherché la voix du dernier adieu,
    Mais nos mots se sont dit bonne nuit.

     

    [Rewriting and dreaming Wenjie’s fantasies.]

  • La chambre est veuve

    La parure de lit est blanche, quatre oreillers rectangulaires superposés deux par deux, une tête de lit qui se prolonge de chaque côté sur environ un mètre en s’incurvant aux extrémités comme pour adoucir la recherche du sommeil. Trois cadres sont accrochés au-dessus du lit : deux pagodes jumelles aux tons chauds sur fond blanc dans de petits formats carrés disposés l’un au-dessus de l’autre comme les oreillers ; une marine aux tons froids, découpe des montagnes se mirant dans une mer étale fendue par une barque dont les deux traits orthogonaux figurent deux rameurs, à moins qu’il s’agisse de mâts, à moins que ce soit un lac, et je compte neuf oiseaux dans le ciel, mais comment désigne-t-on la marine en chinois ? Et ce cadre rond, comment éviter la contradiction ? La langue chinoise a-t-elle un mot pour le cadre carré qui devrait être un pléonasme en français, et un autre pour le rond ? Et le traducteur automatique parviendra-t-il à déchiffrer mes questions pour Wenjie ?

     

    Lundi 27 avril, 9 heures 30, heure locale

    Réponse : « Rond 方型 carré 圆型 »

     

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    © Wenjie Ding, La vie éternelle dans le feu – médaillon, forme ovale

  • L’encre ou la chair

    L’art est triste, hélas...

     

    Hier, il est allé à Hangzhou. Comme la chambre de son ami était trop petite et qu’il ne voulait pas le déranger, il est retourné à l’hôtel. Il a dormi toute la nuit. Au réveil, il avait mal aux jambes et n’arrivait pas à marcher normalement. C’est l’effet de la balade sur les routes de montagne. D’habitude, il reste assis pour peindre à la maison toute la journée, mais il se dit que ce n’est pas un mode de vie sain car son corps qui manque d’exercice finit par le dégoûter. Hier soir, il a téléchargé une application pour faire des rencontres. Ce matin, il avait quantité de messages d’hommes de Hangzhou, mais aucun n’avait excité sa curiosité ni son désir ; la plupart utilisaient des avatars trompeurs ; quelques-uns lui avaient envoyé de vraies photos mais n’étaient pas son genre ; tous avaient un besoin impérieux de sexe qui se mêlait aux question convenues et parfaitement ennuyeuses des sites de rencontre. Il continuera de se reposer à l’hôtel toute la journée pour laisser ses jambes se reposer. Il y a quantité de boutiques et de restaurant en bas. S’il a faim, il n’aura qu’à descendre.

     

    — Wenjie poste ce message vers midi, heure locale. Il le documente avec cinq photos : quatre de ses jambes, une de son torse imberbe et tatoué au côté gauche avec deux idéogrammes, les bras étirés au-dessus de la tête pour prendre la photo, le bas du menton joliment arrondi, les aisselles aussi finement poilues que les jambes. J’ai prélevé la traduction automatique de son texte pour lui donner un tour moins maladroit, modifié le mode d’énonciation en choisissant la troisième personne, opéré quelques assouplissements syntaxiques, me suis permis des variations sémantiques en corrigeant les incohérences que j’ai mises au compte des défauts du traducteur chinois-français. Je pense avoir respecté les affects que j’y ai perçus, et, malgré l’éloignement géographique, culturel et linguistique, je constate qu’un homme est un homme, qu’un homme qui désire et dessine se pose à peu près les mêmes questions en Chine et en France : nous sommes du même bois. Il est huit heures, heure française. Je commence ma journée ; Wenjie a peut-être déjeuné. Dans son repos, j’aimerais qu’il fasse une encre musculeuse même si son activité sédentaire le dégoûte quelque peu aujourd’hui ; mais peut-être, dans son vœu d’oisiveté, rencontrera-t-il plutôt un compagnon à son goût, et écrirai-je bientôt, devinant la malice sous une piteuse traduction robotique, et tâchant encore de filer, tisser, et enfin plier un récit : jambes en l’air.

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    © Wenjie Ding

  • La leçon

    ou LA DÉMOCRATIE DU COUTEAU — ou LE RÉGIME DÉTERGENT — Car non, ce régime n’est pas autoritaire. — Car oui, nous sommes protégés jusqu’à nouvel ordre. — Car oui, là, tout n’est qu’ordre et hygiène. — Ionesco indique, à la fin de la pièce, que la bonne met un brassard nazi au professeur. — Quand j’ai joué la bonne, on a choisi de ne pas l’utiliser. — La didascalie paraissait redondante. — Depuis 40 jours, les discours ont pris le tour absurde de La Leçon. — On ne sait qui, du professeur R., du président M. ou du président T., tient le rôle principal, et nous sommes tous de bons élèves, et l’on sait comment cela se termine.

     

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  • J’ai soupesé ma vie

    Passé des heures à écrire l’accompagnement d’une chanson enregistrée il y a deux ou trois ans. J’ai dû me réécouter pour me comprendre, exercice pénible que de se reconnaître — mes tics harmoniques —, et plus pénible encore la difficulté à retrouver certains accords au clavier avant de les écrire : trois pages sur un petit poème d’Emily Dickinson, une partition mise en page de manière un peu maniaque pour qu’Olivier puisse chanter tout en s’accompagnant. Il veut chanter ce morceau en particulier. Je l’aime aussi, il a quelque chose de déchiré avec ses irrésolutions, ses médianes qui se refusent, ce La bécarre dès la première mesure qui annonce une instabilité, l’air de rien, et, à la troisième strophe, la chute en Si mineur, la dépression des âpres dièses, et une espèce de rejointoiement dont je suis friand, la mélodie changeant d’habits quand le Sol dièse dans l’accord de Do dièse mineur devient La bémol en Fa mineur : le même mais un autre, pour revenir à la tonalité initiale, car il le faut, et l’oreille est soulagée après un temps de mise au point — existe-t-il, pour l’oreille, un équivalent de la mise au point optique ? Je note la première strophe, qui est très belle :

    I felt my life with both my hands
    To see if it was there —
    I held my spirit to the Glass,
    To prove it possibler —

  • Homo detritus

    Sortir sous couvert d’un bout de papier et de la nécessaire nicotine, marcher courbe en improvisant quelques détours sous le soleil insolent, observer les gants poussés par le vent contre les pierres d’une jardinière urbaine, déchiffrer l’emballage d’une salade industrielle au poulet confiné malgré son nom de dictateur : documenter les déchets de l’époque qu’on appelle volontiers anthropocène ou capitalocène — mais poubellocène et plus encore poubellien lui vont comme un gant.

     

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