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folie minuscule - Page 130

  • Week-end en famille

    Denis me manque, je voudrais le voir ce soir. J'aurais dû lui demander son numéro de téléphone ou son mail ce matin. J'ai écrit mon adresse msn sur un agenda posé sur son bureau. Il m'a dit "oui, mais où sur l'agenda?", à quoi j'ai répondu "à la fin". Je ne suis pas sûr que l'adresse soit parfaitement lisible. Je ne connais que son prénom, mais je saurais retrouver son adresse en retournant dans sa rue.

    Huitième étage sans ascenseur, entre six et sept heures du matin, et le corps à corps reprend, il me mord les seins, j'ai encore mal, je le mords aussi, les bras et le cou, je n'en peux plus, il dansait seul et on s'est regardés, ses yeux presque de fille et son visage aussi, sa peau noire, sa silhouette fine et musclée, le débardeur blanc moulant sur la peau noire, le jean large et ma main sur son sexe à travers la toile, je ne savais plus si nous dansions ou si nous faisions l'amour, je l'ai pris là, presque, il y avait d'autres couples autour de nous, je ne voyais plus rien, que lui et la musique dans nos corps, et l'alcool dans le sang aussi, les sexes dressés au dessus de la ceinture enfin, les caresses de la main puis de la langue à genoux l'un devant l'autre, puis la backroom et le sol humide, ses cris dans la musique maintenant étouffée mais toujours entêtante, les mecs qui regardent, qui restent ou pas, il se rhabille et je me demande si tout est fini, comme ça, mais non, on sort et on décide d'aller chez lui. Il craint ma réaction, sa petite chambre, les escaliers, j'imagine le tableau, je m'en fiche, je le veux, et c'est lui qui me prend, et nous dormons ensemble, moi dans ses bras d'abord, puis je glisse sous son aisselle, je suis sur le côté, le lit est étroit, mais je dors, deux heures sans doute, puis je pars, j'ai juste laissé mon mail, il a envie de me revoir, dit-il, il me dit au revoir, la porte est entrouverte, il est nu et il sourit, il y a ces photos de lui, encore enfant, déguisé, je ne sais plus en quoi, son sourire toujours, et je descends les escaliers, léger et engourdi, une marque sur la tempe gauche, un pli des draps qui a creusé un sillon, j'hésite à mettre mes lunettes de soleil, pour cacher ça, et la fatigue dans les yeux, la tête de celui qui a découché, et le maquillage aussi, qui tient, je le sais, j'ai vérifié avant de le quitter, et je me demande jusqu'à quelle heure il a dormi, s'il embrasse quelqu'un d'autre ce soir dans le même club ou dans un autre, et ce matin, son odeur sur mes doigts, j'étais encore plein de lui, et maintenant encore, le manque, de lui, rien que de lui, mon manque est fixé ce soir, et je suis épuisé, je n'ai dormi que deux heures ce matin, alors je ne me poserai plus de questions dans quelques minutes, et mes rêves seront à Denis, je veux l'amour dans mes rêves, et ses frissons et ses dents dans ma chair.

  • Les maîtres

    Soirée autour des maîtres. Restaurant du musée des Beaux-Arts. Audrey monte dans ma voiture. Je suis un peu isolé. Beaucoup de normaliens, thésards ou docteurs. Je n'ai pas d'anecdotes sur le bac français cette année. Mes anecdotes sont des anecdotes de bureau. Ma voisine de table parle aussi de sa chef.

    J'envoie un sms à Lucien, comme la veille. Je lui demande simplement s'il est à Lille. Pas de réponse. Je ne passerai donc pas la nuit avec lui. Je ne sais pas où je vais dormir. Jérôme est chez mon père; pas de place pour moi. Je n'ai pas prévenu Niko, ni Nathalie. Je dors dans la voiture, sur une aire d'autoroute. Un endroit que je connais bien. Des voitures s'arrêtent, des hommes en sortent parfois. Le ballet lent et prévisible des phares braqués sur vous pour vous évaluer. Vers cinq heures, une voiture s'arrête près de la mienne. Je me réveille. Le conducteur descend, passe et repasse à côté de moi. Le deal commence, ça prend un peu de temps. J'ouvre ma fenêtre, le contact est bon. Je le laisse entrer. Il n'est ni beau ni mince, ni bien monté, mais le contact est bon. Les cheveux très courts et très doux. Le goût est bon. Ca me va, et je me laisse aller. Il s'appelle Philippe. Il revient de Lille. Il rentre chez ses parents, dans l'Aisne. Il doit avoir quarante-cinq ans. Je ris parce que c'était bien.

    Je dors trois heures.

    Lucien me répond le lendemain. Il n'avait plus de crédit. Il me dit qu'il est à Lille. Je lui dis "trop tard": je suis déjà rentré à Paris. Lucien doit venir le week-end prochain de toute façon. Amandine et Charlotte seront sans doute de la partie. Il y a Fabien, aussi, qui arrive à Paris le 3.

    Lundi soir, j'aide Estelle à déménager. Sa mère sera là. On fera un seul trajet, de son hôtel à son appartement, d'Oberkampf à Montparnasse. Je n'ai pas vu sa mère depuis 1994. Estelle sort à nouveau avec David, mais uniquement pour sa beauté, me dit-elle.

    Promenade dans Paris avec Clélie ce soir. Rue de Rivoli, la Cité, bateau bus, puis bus des Champs-Elysées à la Gare du Nord. Clélie écrit son prénom sur un vieux programme de Théâtre, ciment de l'Europe. Elle ne termine pas sa glace. Elle est jolie dans son imperméable d'été blanc.

    En début de soirée, on s'est arrêtés à la Fontaine des Innocents. Je lui ai dit que la fontaine avait quatre cents ans. Elle a répété: "quatre cents ans!". On a regardé les bas-reliefs, puis on est partis.

    J'ai salué Monsieur Caramatie. Je lui ai parlé de mon parcours depuis la khâgne. La Fontaine des Innocents, Jean Goujon, la couverture du livre de Henri Zerner sur l'architecture française de la Renaissance. Je n'ai pas eu de maîtres, je crois, ou je ne les ai pas encore trouvés. Je n'ai rien contre l'idée. Ou alors je suis passé à côté de mes maîtres.

  • Un mouton et deux lapins

    Quand je suis rentré à l'appartement en fin d'après-midi, Kim était déjà là. Je le savais parce que son trousseau de clés était posé sur la console. Je suis allé à la cuisine pour me faire un café; il y avait deux lapins en chocolat, un grand et un petit, qu'elle avait ramenés d'Alsace, et trois boîtes en plastique transparent contenant des chocolats. J'ai préparé mon café, puis Kim est venue me dire bonjour. Elle m'a offert un petit gâteau en forme de mouton. Et aussi l'une des boîtes, qui contient en fait de petits lapins en pain d'épices et chocolat. C'est le curé de son village qui les lui a donnés ce week-end. Tous les ans, il offre des lapins. Il les achète en Allemagne.

    Kim dit qu'il ne faudra pas attendre pour manger son grand lapin. Dans deux semaines, il ne sera sans doute plus bon. C'est une pièce unique, faite à la main, sans conservateurs. En revanche, elle ne sait que faire du gros oeuf que lui ont offert ses élèves. Comme il doit être consommé avant octobre 2009, elle a le temps d'y réfléchir.

    Elle a emmené son lapin dans son bureau. Elle le prendra en photo avant de le manger.

    J'ai pris mon mouton en photo. Mais je ne l'ai pas encore mangé.

    J'ai mangé deux lapins.

    En marchant dans Paris cet après-midi, j'ai commenté le mauvais temps avec mon frère Jérôme. Mon père lui a expliqué pourquoi Pâques arrive si tôt cette année: c'est le premier week-end après la première pleine lune du printemps. Je l'ignorais complètement. Kim aussi.

    Mon père fut prêtre. Il sait bien des choses. Je n'avais pas envie de fêter Pâques en famille cette année. J'ai préféré rester à Paris. J'ai vu Lucien, c'était plus important. J'ai vu Lucien de samedi, 14 heures, à dimanche, 11 heures 30. C'est beaucoup. C'est en tout cas plus que d'habitude. Et d'habitude, ce n'est pas si souvent. La dernière fois, c'était début janvier, un jeudi soir. Je l'avais emmené au théâtre. C'est ce que j'ai fait ce week-end aussi. J'ai trouvé une photo de Lucien sur Internet. Il m'a suffi de taper son nom sur google. C'est une photo d'il y a deux ans. Il a le torse nu, et les cheveux longs. C'est une photo de groupe, un peu trouble, mais je reconnais les angles de son corps et de son visage. Lucien me manque. Mais Estelle m'a demandé la semaine dernière si j'étais amoureux de Lucien ou amoureux de l'amour.

    Il n'y a qu'à Lucien que je permette de fumer dans la cuisine, le matin, à l'heure du petit déjeuner.

    Quand Lucien est venu au mois de janvier, nous nous étions donné rendez-vous au théâtre de la Colline. J'ai pris le bus près de chez moi, et j'ai vu monter un jeune homme à l'arrêt suivant. Je l'ai regardé de manière appuyée, jusqu'à ce qu'il me voie: c'était lui. C'est étrange, parce que j'ignorais où il se trouvait dans Paris. Le hasard a fait que nous nous sommes rejoints plus tôt. C'est un beau souvenir. Je peux appeler ça un beau souvenir.