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folie minuscule - Page 128

  • Sans titre

    Deux jours sans écrire sont longs, les souvenirs remuants du week-end apprivoisent le quotidien, journée neuf heures dix neuf heures, alertes messagerie, réunions prises de position. Le soir, rituel des voisins amants de l'autre côté de la cloison, "cuisine non douche d'abord avant qu'il arrive", fermer son coeur en alliance, à tel point que je dors moi, vingt heures minuit, porte grince amant chuchote maîtresse de maison répond poète s'endort, et réveil doux avec haleine de qui ne s'est pas lavé les dents et messages des deux à qui je voudrais bien faire la cuisine moi, Yves-Noël Renato, l'un m'a dit qu'il trouverait un stage à l'autre chez Hermès, racourci spatio-temporel, blond chevalier qui ce soir dansait m'a-t-il dit et damoiseau que je n'ose qualifier, image comme épreuve pas encore fixée (lumières rouges du labo pas très différentes de celles du Dépôt).

    Angelina, je corrigeais copies au tout début du siècle quand j'avais femme coeur fermé en alliance cuisine soucis domestiques diplomatie familiale, il y eut ce message d'Angelina dans l'après-midi (les noms qu'y puis-je ce sont vos noms), parfois oui j'ai soubresauts de lyrisme en souvenir de qui je fus amoureux fou, alors je mets CD vulgaire morceau de plastique comme sauvage roulant dans un drap d'or, opéra de pédé disait Yves-Noël, goût de l'absolu dit Angelina (moi je dis souvenir du goût fantasme impasse de l'absolu). Littérature écran, souvenir écran. Les mots traces de vie, recueil de la chair des mots, ce que disent les mots quand ils s'agitent, par les yeux les mains la bouche. (La musique, impossible d'en parler.)

    Année scolaire 1999-2000, Fourmies théorie d'insectes dit Claude Simon, lycée Camille Claudel, je commençais l'année avec La Princesse de Clèves chère à Breton, "ce fut comme une apparition", histoire de coeurs qui se ferment en alliance, j'avais vingt-quatre ans, cheveux longs, je faisais des lectures méthodiques. A la fin du message mise en garde je crois, "dites-vous bien que la littérature est un des plus tristes chemins qui mènent à tout", Breton fils de gendarme et gendarme de la littérature parle pour lui évidemment.

  • Pendant la guerre

    Je remontais la rue de Rivoli à la recherche d'habits neufs, en sortant du BHV un mec m'interpellait, il me prenait en photo, moi et mes habits, il disait c'est pour un blog de mode, je lui expliquais ma mode n'est pas toute fraîche vous savez, à part mon écharpe, il concluait ce sera bientôt en ligne sur L'Habit fait le Dandy, je pensais à Renato puis à Baudelaire, et je trouvais des habits neufs dans une boutique du Marais, un manteau gris et un sarouel (je laissais une chemise noire à pois bleus).

    Je prenais un Starbucks, un venti moka blanc s'il-vous-plait, Fabrizio disait qu'on se rejoindrait aux Halles, alors j'avançais et je me brûlais la langue, à la Fontaine des Innocents une voix de femme hurlante lamentait la guerre d'Orient, les nouvelles du monde sur la place publique, l'affiche disait résistance et la voix hurlante étranglait les mots de douleur, chacun est responsable de ce qu'il veut voir ou ne pas voir, elle disait antenne deux vous ment, les images ne mentent pas, regardez les images (j'avais bien entendu aussi on va brûler les Juifs).

    Aux Halles on faisait la queue et c'était cher, il y avait cette histoire de deux amants qui habitent dans le même immeuble, séparés par une cour intérieure, et l'amour qui se dit à la fenêtre par silhouettes entrevues et blonds cheveux d'une princesse triste et lâche, les couples mystérieux qui se font et se défont, les petites horreurs de la vie qui passe et les ennuis entre quatre murs, les amants mariés et les mères dévorantes.

    Les nôtres ne sont plus là alors on se débrouille avec les pères, Fabrizio rentré d'Italie, les déceptions de Noël, les amours comme elles vont, les perspectives d'avenir, c'était dans un kebab et il faisait bien froid. (Pendant ce temps Renato révisait le quatrième pouvoir, Yves-Noël dansait à Laumière, Estelle regardait peut-être la télé impasse de l'Astrolabe, etc.)

  • Embrassement / Errance

    Terminé Fleurs de tempête. Forme de lecture inédite, roman tombeau de la cousine de quelqu'un qui m'est proche, et portrait en contraste de sa soeur, dont je guettais les apparitions au fil des courts chapitres, parce que dès les premières pages, un portrait rapide m'avait indiqué où se porterait mon intérêt: "prendre tous les risques, conduire en ayant trop bu, fumer, exposer sa vie, tomber dans les bras d'un inconnu, ne jamais payer ses contraventions, narguer avec plaisir la loi" (évoquant sa mort, le narrateur dit qu'elle avait dû emporter dans sa chambre d'hôtel des éditions de poche de Duras qu'elle ne lisait plus et dont elle ne prenait aucun soin). Etrangeté de la Bretagne, que je ne connais pas. Le Nord vécu par le narrateur et son amie comme un exil triste dans un pays sans âme, ce pays où sont mes racines et que j'ai quitté il y a à peine plus d'un an. Déambulations dans Paris, je retrouve Fargue, les noms de rues, certains endroits qui semblent tellement liés à l'intimité des personnages qu'il serait indécent d'avoir la curiosité de les chercher.

    Je lis avec intérêt, mais je reste distant au début. Je continue de me poser ces questions récurrentes sur mon écriture, mes écritures, je pense que je n'écrirai plus dans la belle langue classique. Et puis commence le récit de la maladie d'Hélène, le cancer dévorant. Quelques pages avant la révélation de la maladie, le narrateur évoque la Toussaint: "L'entrée dans la saison sombre m'avait toujours mis dans un état d'inquiétude et de marasme intérieur. C'était le mois des ombres, le mois noir au cours duquel la porosité de cette terre avec l'autre monde est totale." Le dernier tiers du livre est insoutenable, je n'ai plus aucune retenue, c'est la dégradation physique de ma mère que je retrouve, la même maladie, les mêmes signes, et pour moi le même égarement de "bête blessée".

    Yves-Noël est chez ses parents, je l'entends presque: «Ouhou!», reviens ma mère du p’tit magasin. J'imagine la neige, beaucoup de neige, comme dans son spectacle à la Ménagerie de Verre, où ses parents firent une entrée inattendue sur le plateau, manteaux, bonnets, lunettes, à quatre pattes. C'était la dernière de Mamzelle Poésie, c'était déjà un conte de Noël. Il écrit: "26 décembre, jour de neige, gouttelettes de vin, de vent". La figure de Duras, aussi. Yves-Noël a écrit quelque chose comme "je tiens à préciser, j'ai connu Duras". C'était dans une note où il reprenait une phrase que j'ai dû écrire, dans un mail sans doute: "j'écris comme je vis". Repentir. L'écriture et la vie, intimement mêlées, ça ne fait en tout cas aucun doute. Ecriture par ellispses, par sauts, par rapprochements soudains (je repense à ce texte de Novarina que je recopiais il y a quelque temps, ça se termine par la métaphore du tissage, du tressage, et Yves-Noël parle de ma façon de rassembler les choses, c'est bien ça, ma forme, qui vaut ce qu'elle vaut, mais qui est ma forme, et c'est amusant parce que c'est ce terme-là qui me vient souvent à l'esprit quand ça se produit, dans la tête ou sur le papier, le rassemblement, l'embrassement).

    Tous ces prêtres autour de nous, qui nous accompagnent. Le prêtre de Saint-Eustache dans Fleurs de tempête, vrai guide spirituel, réflexion profonde, de jeunes prêtres aussi, des gens brillants apparemment (le prêtre de Saint-Germain-l'Auxerrois, après l'audition de l'orgue, il y a quelques semaines, le cocktail dans la sacristie, je n'avais jamais vu ça, un cocktail dans une sacristie, ni un prêtre si élégant, long manteau noir à la coupe impeccable). Le prêtre dont parle Yves-Noël: "J’ai revu Jean Guillet, le prêtre qui m’avait emmené dans les Alpes quand j’avais quatorze, quinze ans. Il est maintenant curé dans mon village natal. Il est allé chercher des photos et on a bien dû constater que cet adolescent longiligne, joyeux, presque carnassier (alors qu’en ville je suis efféminé), c’était ce que j’avais été, celui que j’avais été dans ces voyages qui m’ont tant marqué. Je dis au pluriel bien que je ne m’en souvienne que d’un seul (mais alors si nettement, comme la référence absolue). Mais les photos… Il y a donc eu deux voyages, un en Vanoise, un autre dans le Mercantour – je ne m’en souviens que d’un seul. Je me souviens de l’émerveillement suprême et que, de retour dans la plaine (après – j’imagine une dizaine de jours), je ne voulais plus parler à personne, plus renouer aucun lien et que ça avait duré au moins un jour – où j’étais cloîtré." Moi, c'est mon père, mon Père avec la majuscule aussi (le jour de Noël j'écoutais France Culture sur la route, c'était une émission sur le mariage des prêtres, il y avait une femme qui témoignait, je repensais évidemment à l'histoire de mes parents, à l'honnêteté de mon père qui avait pris les décisions qui s'imposaient pour assurer à ma mère une vraie vie de couple). Tous ces prêtres, porteurs de la parole de l'Evangile, parole d'amour (c'est ce que disait ma mère, parole d'amour, morte dans la foi la plus aveugle, si ce n'était ce soubresaut avant qu'elle perdît conscience: "on est normal / est-ce qu'on est normal / on est normal / est-ce qu'on est normal /on est normal / est-ce qu'on est normal...".)

    Et Duras, enfin: "J’ai quand même raconté l’histoire. Hein, Yann, je crois que j’ai raconté l’histoire aux comédiens. Et j’ai parlé du caractère, de la nature, plutôt, d’Ernesto. Parce qu’il ne peut pas arriver au personnage, Ernesto ; il est trop vaste. Il est nommé, parce que c’est pratique. Ça m’émeut beaucoup, ce que je dis, parce que c’est ce que je pense de lui, ça. On le nomme, parce que c’est pratique, mais à tous les noms dont on le chargerait, il répondrait. Il ne sait pas qu’il s’appelle comme ça. Il ne faut pas, il ne faut pas dire le mot, mais c’est l’être humain, avec Yves-Noël, peut-être, qui est le plus proche de la sainteté, que j’ai jamais rencontré. Une sainteté aride, complètement solitaire, et probablement sans lectures, sans rites, sans messe, uniquement accompagnée de solitude, et d’une solitude terne. Voilà. Mais je crois que si on arrivait à dire des phrases comme ça, ça serait aussi fort que de nommer."

    Angot citant Lacan : "le-nom-du-père/le-non-dupe-erre".