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folie minuscule - Page 129

  • Tourbillon

    Jeudi, j’appelle A., on parle du week-end, elle me propose de venir chercher Clélie à Paris dimanche soir, changement de programme, je ne sais plus pourquoi elle me parle des Barbies, j’écoute, Barbie mariée, ce qu’elle veut, c’est que sa mère se remarie avec son père, il est vingt heures, je parcours l’avenue Parmentier dans un sens puis dans l’autre, j’essaie de me repérer en vain, je n’ai pas pris mon plan, Clélie prend le téléphone, me dit « Papa t’es tout mimi », je réponds « c’est toi », elle me repasse sa mère, on parle de Noël, je ne comprends rien à l’alternance des week-ends décidément, ou c’est elle, Yves-Noël dit la complexité c’est ce qui est fermé administratif ministériel démocratique, communication interrompue, je rappelle, échec réseau, je finis par trouver la bonne perpendiculaire, Christophe est là, devant la Ménagerie de Verre, il me dit « tu n’as pas pris de sac ».

    Self & Others, François suce des jambes de Barbies, les siennes aussi lisses que les leurs, entre ses pieds une bougie allumée qu’il élève lentement, Self & Others, il y a trois ans, sur mon premier blog, j’avais créé une catégorie Fictions biographiques, moi et les autres, quelqu’un récite des passages de L’Ecclésiaste au début du spectacle, j’ai ramené ma Bible ce soir, restée chez mon père depuis deux ans, je l’ouvre et c’est la page du Qohéleth, vanité des vanités, dit Qohéleth, vanité des vanités, tout est vanité. Quel profit y a-t-il pour l’homme de tout le travail qu’il fait sous le soleil ? Un âge s’en va, un autre vient, et la terre subsiste toujours.

    François me dit qu’il s'endort traîne sèche ses larmes apaise son corps ramasse les éclats se donne du courage pense à demain aux autres jours, et moi j’ai délibéré en mon cœur de traîner ma chair dans le vin. (On parle avec une inconnue des secrets qu’il faut un jour révéler à ses enfants, elle a une fille elle aussi, elle nous livre son secret, elle a tué le père de sa fille, il pleut, il fait froid, on boit, elle dit qu’elle a trop bu, elle boit du Champagne, elle dit qu’elle n’arrive pas à coucher avec sa meilleure amie.)

    Un pirate m’entreprend, il s’appelle José, je le vois enlacé avec Yves-Noël, il prend mon verre, je le reprends, il sourit, j’ai les pieds gelés, je pense à la route, conduire jusqu’à Valenciennes, arriver sain et sauf et m’échouer chez mon père, je déplie le canapé, Clélie s’installe entre mes cuisses pour regarder un dessin animé, une coccinelle qui nargue des mouches, une araignée dépassée par les événements, père et frère de part et d’autre du canapé, commentant l’action, et moi assommé, le bruit, mon père me donne un oreiller, je me tourne vers toutes les œuvres qu’ont faites mes mains et vers ce que j’ai eu tant de mal à faire, vanité, poursuite de vent.

    « C’est pas bientôt fini cette porcherie ? » (Il crie, le répète plusieurs fois, il pleut, il fait froid, la musique est bonne, on voit les corps tassés, Rosa Bonheur pleine à craquer, la buée sur les vitres, les boissons servies dans des gobelets en plastique, « ce qu’il faudrait c’est une tour Eiffel au milieu du parc ».)

    « Pour vivre cachés vivons heureux », je n’ai jamais vu de psy moi, je ne sais pas ce que disent les psys (on est arrivés au parc avec deux jeunes filles qui ont pris le RER avec nous, on ne les a plus revues).

    Avec Yves-Noël on se dit au revoir sans mots, on se serre très fort. (Il y a dans Têtu ce drôle d’article sur le bonheur, il y a un moment dans la pièce où Bénédicte lit le journal aussi, elle dit les femmes sont hystériques les hommes sont obsessionnels, Cecilia me demande avec son accent argentin si je suis obsédé moi aussi, je ne comprends pas, je dis oui, elle me dit obsédé par quelqu’un, par une seule personne, alors je dis non.) Malheur à celui qui est seul ! S’il tombe, il n’a pas de second pour le relever.

    J’installais l’imprimante chez mon père, je lui expliquais comment on scanne un document, je faisais un essai avec une carte postale, puis avec un dessin que Clélie m’apportait, je l’ouvrais avec mon logiciel de retouche, je modifiais les contrastes, j’appliquais l’effet tourbillon et le dessin devenait spirale de couleurs, puis l’effet torsion et le dessin se déformait comme les poèmes manuscrits dont je faisais danser les vers quand j’étais obsédé par Renato :

    Je ne sais plus pourquoi, je parlais de Louise Labé à Yves-Noël, je vis je meurs, je me brûle et me noie, je ne me souvenais pas des autres vers, pourquoi je parlais de ça dans le froid de décembre, je retrouve le sonnet sur la toile, vanité, une photographie de Cindy Crawford nue pour illustrer quoi, les tensions de l'état amoureux, l'instabilité, le chaud et le froid, le rire et les larmes.

  • Sans titre

    Deux nuits que je dors douze heures. Hier soir, je me réveille, je ne sais pas quand exactement, dans la soirée, je lis La Généalogie de la morale, dans une édition de poche qui appartient à A., un de ses livres que j'ai gardés, parce qu'ils sont plus à moi qu'à elle, sur le fond. Il y en a peu. Ce n'est pas vraiment un vol.

    Ce matin, je me lève en retard, pas grave, une douche, le reste est prêt, je peux sauver les apparences.

    J'envoie un message à Kim dans la matinée pour m'excuser d'être asociable en ce moment.

    Hervé se manifeste, il est doux, veut me revoir, moi aussi. Il me dit que je suis le premier mec qu'il emmène chez lui après une sortie en boîte. Je le crois.

    Je vois le médecin de Bruno, on voit la Conciergerie depuis les fenêtres de la salle d'attente au troisième étage, la pièce tremble à cause du métro sans doute, un seul antibiotique suffira à traiter les bronches et l'infection de l'urètre. Prélèvement demain, et prise de sang. Au cas où. Sur la porte d'entrée, une petite annonce: recherche d'un appartement avec vue panoramique sur Paris et grand séjour pour le tournage d'un film au mois de janvier.

    Nouveaux amis sur Facebook, des vrais, Sylvie et Stéphane. Echanges réguliers avec Nicolas, transfuge de Rezog, papa de deux petites filles, neuf ans et quatre ans. Il a la garde alternée, son ex habite à deux cents mètres de chez lui. C'est le premier papa homo avec qui je parle. Du moins les autres, l'un qui fut un collègue, l'autre un amant, sont encore mariés.

    Pris des photos ce soir, avec des mots qui dansent: "ghetto", coulée de peinture et feuilles mortes; "TBM", se passe de commentaire.

  • WO ES WAR SOLL ICH WERDEN

    ce était, je doit advenir. Bruno Beausire ne partage pas seulement ses écouteurs avec Christine Angot (ils écoutent des morceaux pendant des heures, épaule contre épaule). Il sème des phrases, aussi, il lui fait noter, au téléphone, W-O, E-S, W-A-R, S-O-L-L, I-C-H, W-E-R-D-E-N. Il dit: "Donner à une personne la solution à un problème la laisse dans son ignorance." Ou alors il reste debout à côté de la platine, chez elle, it can be beautiful if you draw no line once you enter my world, you can have what's mine, I give you all the strength you need the air I breathe I share...

    Le premier soir, je rejoignais Benoit au K., je le voyais dans le restaurant, souriant, me souriant, il m'offrait un verre, s'occupait des derniers clients, je discutais avec la patronne (mais ce mot ne convient pas à une étrange Norvégienne), elle lui disait, le lendemain, "pour une fois tu ramènes quelqu'un de bien". Chez lui, il passait de la musique sur Deezer, il me faisait écouter Junior Suite de Vanessa Paradis, je lui disais que j'avais du mal à comprendre les paroles des chansons, d'une manière générale, parce que je suis musicien, j'entends d'abord les notes, les textes me demandent un effort de concentration extrême. (Je retiens une seule phrase de l'album de Blonde Redhead que j'écoutais en boucle après la rupture avec Xavier: I'm just a man still learning how to fall.) Là, il fallait que j'entende un mot, navigant, parce que Benoit m'avait soupçonné, dans nos premiers échanges, d'être un navigant. Je comprenais à peu près, mais le contexte de la chanson ne m'aidait pas vraiment. Je la connaissais pourtant, cette chanson, je l'avais souvent écoutée, mais je n'avais jamais entendu navigant.

    Avant-hier, Benoit m'appelait vers une heure du matin, il me disait "je vais te quitter", on parlait, on essayait d'expliquer pourquoi ça ne pouvait pas marcher, on se disait de belles choses en même temps, mais il ne fallait pas que je l'attende, "tu vas m'attendre combien de temps, Pierre? il ne faut pas que tu m'attendes", puis il me faisait écouter Kaolin, je t'attendais, alors partons vite si tu veux bien, sans retour..., et aussi Michel Polnareff, s'il y a quelqu'un que ça intéresse, qu'il m'envoie son nom et son adresse, je lui raconterai l'histoire de l'homme qui pleurait sans espoir, il pleurait des larmes de verre, et quand elles atteignaient la terre cela faisait une musique angélique et fantômatique... Il raccrochait au milieu de la chanson. Je lui envoyais mon nom et mon adresse par sms. Pour le reste, je ne comprenais les paroles que le lendemain, et je lui envoyais deux sms: "Je t'attends quoi que tu en dises", et un autre reprenant des paroles de Partons vite, et puis pas de réponse. Je laissais deux messages sur son répondeur.

    Le soir, je lisais Le Marché des amants au Petit Poucet. J'appelais Cécile pour l'aider dans le choix de ses TD à la fac, Stéphane m'appelait, et la conversation commençait comme toujours par "How are you Mister Beautiful-Dark-Hair?", et pendant ce temps Benoit laissait un message. Il était en Normandie, chez ses parents. Il ne fallait pas que je l'attende, etc. Elan brisé.

    J'aurais dû penser à lui faire écouter It's now or never mais c'est trop tard, Come hold me tight, je n'ai pas ce réflexe de penser aux chansons, Kiss me my darling, ç'aurait pu être ma réponse musicale, Be mine tonight, je lui ai dit de ne pas me rappeler et qu'il ne me rappelle pas, Tomorrow will be too late, j'ai dit je suis en colère, It's now or never, je ne me serais pas permis de dire je me sens humilié, My love wont wait.

     La suite serait: Are you lonesome tonight? Do you miss me tonight? Are you sorry we drifted apart?

    En rentrant chez moi, un navigant me parlait sur msn et m'envoyait un lien vers un site, avec un code d'accès me permettant de visualiser des dizaines de photographies de lui. Je lui disais que je n'avais pas envie de chair, il me laissait son numéro de téléphone, que je notais sur une brochure d'information de la Mairie de Paris. Je mettais fin rapidement à la conversation.

    Navigant, je retiendrai ça, navigant. L'amour, on compare ça souvent à un océan, j'dis ça, j'suis pas le bateau, j'suis pas d'dans, j'ai quelques amis navigants, ils sont navigants, moi j'ai déjà tellement d'eau qui fout le camp.