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  • Enfant endormi couronné de laurier

    Force de l’habitude : manger un œuf est à chaque œuf sacrifié quelque chose de bon et de bizarre, et le lait s’écoulant de la brique de lait ne fera jamais de moi un Romulus — ni les vaches-à-lait ne sont putes antiques. De l’autre côté de l’Atlantique, celui-ci se renverse par mégalitres en des fosses puantes ; on broie ceux-là, craquements de coques, tuant dans l’œuf le coq absent. Œuf non désiré, vanité de l’œuf : l’absent de toute omelette ; fontaines de pis : vous épuisez les hommes de somme ! — Les troupeaux d’hommes et de femme se sont figés, qui s’y habituent malgré leurs éructations et leurs gesticulations planétaires — images d’images d’images.

    Car nous demandons réparation, nos angoisses sont légion, nos colères formidables, mais la rue est pavée de silences et de pigeons, ici de poules d’eau, là de troupeaux de vaches : ce sont encore des images. — Enfin, nous sortons masqués et traqués, évitons la contagion des regards, ne nous embrassons plus que par oubli : imagination ! — Fuyant la mort, nous esquivons la vie.

    Ainsi, quelques-uns soulagent les vaches ; quelques autres les poules. D’autres encore soutiennent les immobiles en acheminant du prêt-à-vivre qui est un bientôt-mourir, et tout ce que nous avalons eut un jour forme géométrique issue du cercle et du carré. Enfin, d’invraisemblables costumes de papier blanc et bleu accompagnent le hasard jusqu’au sursaut ou à la mort — et l’agonie des déchus dure une lune.

  • Rien sans peine

    Première vision de la journée : sur Facebook, des images tournées dans la nuit à Villeneuve-la-Garenne, des échauffourées, un journaliste sans carte de presse qui filmait les rues, smartphone en main, commentant ce qu’il voyait, entendait, les gyrophares des camions de police — un policier l’a menacé, il lui demandait de rentrer chez lui, ne voulait rien entendre au droit de filmer, n’ayant aucune considération pour un journaliste sans carte de presse, on entendait soudain des cris, l’image bougeait, suivie en direct par deux mille personnes, c’était des traînées lumineuses, et l’image finissait par se renverser dans les cris d’un homme battu.

     

    Une note de Sylvain Tesson en janvier 2014 dans Géographie de l’instant :

    "La pensée collective est stupide parce qu’elle est collective : rien ne peut franchir les barrières du collectif sans y laisser, comme une dîme inévitable, la plus grande part de ce qu’elle comportait d’intelligent." Toujours se répéter cette phrase du Livre de l’intranquillité de Fernando Pessoa quand on assiste à une manifestation de rue, un mouvement de foule, qu’on découvre un sondage, une pétition ou une page Facebook. On peut aussi se pénétrer de la pensée de Simone Weil qui voyait dans la collectivité "cet être abstrait mystérieux, inaccessible au sens et à la pensée" et ne concevait d’espace pour la liberté qu’au seul étage de l’individu. Seul hic, la majorité des gens partage ces pensées.

    Il est tombé en disgrâce dans les médias. C’est sur Facebook précisément que j’ai découvert la polémique suite à ses déclarations sur les gilets jaunes qui "font moins les malins" en temps de crise sanitaire. Il a été maladroit, aurait mieux fait de se taire — est écrivain : pense dans le silence de l’écriture et non dans la parole proférée — tout son art est dans la chute de la dernière phrase, ce "seul hic" qui ne franchira jamais les portes étroites des réseaux sociaux et de leurs affects viraux.

     

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  • Le bonheur est toujours un échange

     

    ou 

    dans les choux

     

    ou 

    la pute, la danseuse et la reine

     

     

    Avant d’aller au marché, j’ai scrollé les actualités sur Facebook : des stylos rouge sang, un nouveau mensonge d’arracheur de dents du ministre de la santé, des publicités pour des masques chirurgicaux à acheter par lots de cent, et d’autres, plus sophistiquées, pour des masques urbains prêts à se fondre dans le chic du premier costume déconfiné, et des visières, casquettes-visières, chapeaux-visières, bobs-visières, visières anti-UV aux bruns dégradés qui vous protégeront élégamment dans les rues infectées comme le ferait la vitre teintée du plus désirable SUV. — Puis ce témoignage d’une femme qui travaille dans un centre d’écoute téléphonique, elle relatait les appels de détresse des prostituées du Bois de Boulogne, une jeune fille de l’Est, le pays n’était pas précisé, elle était arrivée en France à l’âge de quatorze ans, j’aimerais me souvenir de son prénom, elle n’avait pas vu son maquereau depuis le début du confinement, il ne l’avait pas payée, elle continuait de faire des passes, n’avait plus de toit, dormait dans le bois, se lavait avec des bouteilles d’eau, elle toussait au téléphone, certains clients portaient un masque, lui en donnaient, l’un deux lui en avait même confectionné un avec du papier toilette, la plupart s’en passaient, et puis une autre fille avait appelé, la première était morte, le corps immobile dans une allée du bois, elle est morte hier, et quelques minutes après que j’ai partagé ce témoignage, le post a disparu du réseau, je l’ai recherché sur la page de l'ami qui l’avait partagé quelques minutes avant que je le partage à mon tour, il n’y était plus non plus, juste ce message indiquant que le contenu avait dû être supprimé par la personne qui l’avait initialement publié, mais pourquoi ? Les prénoms de ces filles qui les exposaient, le risque d’une descente de police, la surveillance orwellienne du réseau ?*

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  • Bulle

     

    Ce qui suit est une scène téléphonique.

     

    Je ferme les yeux. Les images vont arriver, les décors vont arriver. Accueillez les images comme elles viennent. Je vois en face de moi un homme qui joue au golf. C’est très étonnant. Il est dans une autre dimension. Il est dans un monde où il est coupé du reste du monde. Je le vois d’une autre planète. Il joue au golf et il est tout seul. Il a des gestes répétitifs. Ils est très précis dans ses gestes. Il pose sa balle blanche sur un petit truc. Il y met son intention, son intention étant de viser plus loin, après il envoie la balle, mais il fait ça tout le temps. C’est comme s’il tournait en rond, dans cet instant où il met son intention, mais ça ne fait rien dans la réalité. On me dit que c’est une boucle temporelle que vous avez. C’est comme s’il fallait réveiller une partie de vous. Cet homme, vous pouvez le contacter en rêve. C’est comme si je vous voyais en train de dormir et qu’il était quelque part en vous… C’est comme s’il fallait le réveiller et dire : "hé ho, t’es dans une bulle, là, il va falloir te réveiller ! T’es dans une bulle intemporelle et tu tournes en boucle…" Lui, il ne sait pas qu’il répète le même mouvement depuis… En tout cas, c’est une histoire que votre égo en partie se raconte. Il est tout seul, il n’y a vraiment personne autour de lui, il n’y a même pas d’animaux. Il n’a même pas remarqué qu’il était seul en fait, c’est vraiment une bulle.

    Et quand j’arrive vers lui et que je pose ma main sur son épaule pour lui dire que je suis là, en fait je le gêne parce que je le déconcentre dans son intention de poser la balle comme il faut. C’est comme un TOC.

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  • Dérive sur l’injonction à penser "demain"

    — Demain, de mane : au matinde bon matin dans la Vulgate. Où tout commence, tout recommence, se répète ou fait peau neuve. — La poétesse fait un vers pour les dictionnaires : "Hier, c’est le regret ; demain, c’est l’espérance." — Le pompeux poète brosse la fresque du "fier demain" contre le "funeste aujourd’hui". — Mais quand il saisonne en enfer, le voyou ne prononce jamais le mot, même dans "Matin", n’y concédant demain que dans le lendemain, et encore s’en prive-t-il absolument, car "Plus de lendemain, | Braises de satin, | Votre ardeur | Est le devoir." — Je me souviens des poèmes gothiques où l’on dit l’endemain qui sonne comme l’entrain. — J’en découvre un mystique, et c’est l’incantation où notre dernier demain rime quatre fois avec la main. — "Jouis. — Je le ferai. — Mais quand donc ? — Dès demain."

  • Spleen

    — Je ne ne touche plus de peau que la mienne, n’ausculte de corps que le mien, ne fleure d’odeurs corporelles que les miennes, n'étant jamais resté aussi longtemps avec moi-même. Ce n’est ni désagréable, ni monotone, ni ennuyeux. Cela peut durer encore, mais il faudrait que cela dure longtemps : un an, comme cet écrivain qui raconte son année de repli volontaire entre quatre murs pour provoquer l’écriture qui jusque-là n’advenait pas, ne sortant qu’une fois par jour pour un paquet de cigarettes et quelques courses, mais silencieux toujours à l’extérieur, ne disant plus bonjour. Il avait coupé son téléphone, ses amis étaient prévenus. Un an sans parler. C’était avant les réseaux sociaux. Aucune interaction. Échanges limités à quelques transactions routinières et silencieuses.

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    — Mon cher, vous connaissez ma terreur des voitures, des vélos et des trottinettes. Tout à l’heure, comme je traversais le boulevard, à grande hâte, et que je sautillais dans la boue, à travers ce chaos mouvant où la mort arrive de tous les côtés à la fois dans le silence des moteurs électriques, mon masque, dans un mouvement brusque, a glissé de mes oreilles dans la fange du macadam. Je n’ai pas eu le courage de le ramasser. J’ai jugé moins désagréable de respirer l’ai virulent que de me rompre les os. Et puis, me suis-je dit, à quelque chose malheur est bon. Je puis maintenant me promener à visage découvert, faire des actions basses, et me livrer au baiser du premier inconnu, comme un simple mortel. Et me voici, tout semblable à vous, comme vous voyez !