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folie minuscule - Page 3

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    J’ai passé deux jours dans la capitale n’ai pris le métro qu’une fois
    Le reste à pieds rapides comme pieds parisiens
    N’ai pas quitté la rive droite à peine vu la Seine
    N’ai rien écrit nulle étoile soleil et pluie

     

    Dans un théâtre il y avait une farce oubliée depuis trois siècles
    Ça sentait le cheval à cause des écuries juste à côté
    Le lendemain soir c’était un cœur antique dans la Maison des Métallos
    Les poumons de la démocratie sont au stade quatre

     

    L’intérêt d’une rétrospective au Centre Pompidou
    C’est d’approcher la main qui répartit cette matière insensée
    Sur de si grandes toiles d’où émerge ici la main de Dieu
    Là un aigle renversé puis un poète dans un paysage de cercles concentriques

     

    Sinon les vitrines de luxe restent admirables
    Les magasins bio remplacent les Franprix
    Les terrasses pandémiques en style palette ruinent les cartes postales
    J’ai même vu des créatures tout droit sorties d’un vidéoclip de 1982

     

    Naguère quand j’étais parisien je marchais pour faire des phrases
    Des poètes racontent cela marcher à l’aventure rêver écrire
    Les rêveries du promeneur solitaire activité typiquement masculine
    Les nuits de Paris et ces longues pages déambulatoires dans Aurélia 

     

    Je ne le suis plus 
    L’orchestre à la radio me paraît bien incongru
    Le rap dans la voiture me tape sur le système
    Les bruits d’une maison suffisent à marquer le tempo de la routine et du hasard

     

    Un chat m’oblige à parler comme on parle à un chat d’une bête affection
    Je me garde d’en faire un chat littéraire c’est un chat de litière
    Ce matin guettant mon réveil et finalement voulant le forcer
    Il s’assit sur ma tempe comme je sommeillais joue gauche sur l’oreiller

     

    Je dors dans un chalet en kit au milieu du jardin sur un lit de jeune fille
    Le voisin a donné une douzaine d’œufs dont j’ai fait un flan savoureux
    Parfois le ciel ressemble vraiment à un ciel du Nord un ciel des Flandres
    C’est la récompense d’avoir le cœur lourd et le songe creux

     

    Ce fut un dimanche familial dans la maison familiale
    La chaleur d’un four et d’une gazinière
    Réactions chimiques du beurre et du sucre à la surface d’une recette maternelle
    Et ce soir j’ai dissimulé du bleu dans la soupe orange

     

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    © Ward Graumans & David Snellenberg
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    Alors jusque dans mes retranchements
    seul voilà deux mois seul deux mois
    comme si cela devait durer toujours
    c’est-à-dire trente ans mon reste-à-vivre

     

    À tourner autour du pot des mots des émois
    agiter le mot du remords le mot du regret
    du vent du vent du vent mettre le doigt
    illusoire comme la racine de l’arc-en-ciel

     

    M’aimas-tu dans nos beaux draps
    passé l’événement d’un mois de mai
    et comment t’ai-je si mal si pauvrement
    pour que tes mots-sans-soucis

     

    Me regardais-tu ou n’était-ce rien
    que moi plutôt qu’un autre
    à peine plus au diapason
    silence-contre-silence

     

    C’est donc l’orgueil de l’élégance
    faire comme si donner le change
    ne donnant rien rien rien comptant 
    sur l’émoussement de l’à-venir

     

    Il ne reste rien mais pas fini
    me priver de tes pensées
    quand je suis plein de toi
    de mes illusions fondues

  • Glossolalie

    La glossolalie d’Andrei Biely m’est parvenue en anglais, accompagnée de cette figure étrange, prise dans une géométrie rudimentaire et universelle. Ne lisant pas le russe, j’ai déchiffré et traduit l’anglais à ma façon, dans un essai de triangulation de la langue, entre la fleur et le serpent, imaginant le cosmos dans une bouche.

    andrei_bely_glossolalia.png

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    J’aurais pu ne pas
    mais tant pis
    c’est passé dans l’océan
    arrivé à destination
    à moins que

     

    C’est pourtant facile
    se voir mais hypothétique
    comment tes cheveux
    ondulent se carapatent
    le jour la nuit

     

    Pourquoi écrire
    comme si rien
    de rien n’était
    de rien n’avait été
    de rien n’avions rêvé

     

    Parfois ton compte parle
    pour ton compte mais tu es
    si rare que les instants
    bout à bout feraient
    un flocon de poussière

     

    Alors restons reclus 
    dans nos chambres
    nos appartenances
    et sommes l’un
    à l’autre absent

     

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    © Jonk Photography
  • Poèmème

    Longtemps je suis resté coi et ignare
    devant le mot de mème soit que je le lusse
    soit que je l’entendisse flotter dans l’air du temps
    avant qu’à peu près je comprisse qu’il devait être
    moche décalé mal designé vrai ou fèke lolable et viral

     

    Un mème expose par exemple ma tète ceci réjouie
    puis ma tète cela dégoùtée si possible le genre de tète
    que je n’afficherais pour rien au monde en photo de profil
    préférant le profil filtré avantageusement ou la face
    mais le mème est la farce des années 20

     

    En quète de mèmes je trouve celui qui me sied
    en haut c’est un homme excité devant mille papiers
    teachers when they explain the meanings of a poem
    en bas c’est un chevelu deux de tension au regard défoncé
    authors when they wrote the poem i’m just really hiiiiiigh

     

    Vous pouvez ne connaître que le dormeur du val
    et le sonnet du TDC mais scroller mille mèmes de Rimbaud
    ce petit criss sodomisé par Verlaine lis-je ici
    là once Rimbaud was alive then he died ha ha
    ou ce chat armé disant Rimbaud sold me this gun

     

    Quant à Baudelaire le poète jouit de cet incomparable
    privilège qu’il peut à sa guise ètre lui-mème et autrui
    certes mais aussi crénom Baudelaire mème officiel
    lost virginity found syphilis Baudelaire par lui-mème
    travail immédiat mème mauvais vaut mieux que la rèverie

     

    Un biologiste associa en 1976 le gène et la mimésis 
    d’où naquirent le mème et la mémétique
    alors voilà le mème est un élément de langage 
    reconnaissable et partagé par répétition 
    d’un individu à d’autres et à d’autres encore

     

    J’ai lu un article du Monde sur l’art du mème 
    qui prétend que parmi les centènes de mèmes 
    qui font leur apparition chaque semène
    seule une poignée passe réellement à la postérité

     

    elle est retrouvée quoi la postérité

     

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    J’ai beau dire
    je suis un homme du XIXème siècle
    et pas la peine de protester
    ramassant les auréoles passées
    sur le macadam de la poésie 
    consciente de sa chute

     

    Il n’était pas trop tard
    ce soir pour relire ça ni
    pour ouïr cette Mademoiselle Bistouri
    qui tant désire un médecin si gentil
    et si bon pour les femmes 
    comme elle dit

     

    Ah ah cette vie
    cette vie on pouvait la peindre
    l’imaginer la continentaliser l’océaniser
    la moraliser bellement en prose
    malgré l’âme irresponsable
    l’âme muette

     

     


    N’ayant le clavier romanesque et ne m’en consolant qu’à moitié
    j’ai racheté une plume de gaucher qui souplement glisse sur le papier
    and so what j’ai écouté idolâtrement le grand roman de l’avarice
    au timbre mat au rythme langoureux au phrasé terne à souhait
    et  franchement Eugénie Grandet déployée à mes oreilles
    rien de mieux qu’un monument du siècle du papier

  • Gradiva

     

    Ce sont des pieds et il n’y a que des pieds
    quand le cinéma recrée la vie de la tête aux pieds
    là vous ne voyez que des pieds
    dans un film tourné à hauteur de pied
    sur un autre continent où vous n’irez jamais
    alors vous regardez le souvenir de ces pieds-là
    comme on garde un souvenir 
    car vous voyez les pieds
    comme une cinéaste par toquade les filma
    jadis dans les années soixante-dix

     

    Mais vous vous souvenez d’autres pieds
    conservés depuis des périodes géologiques
    où personne ne songeait à nommer les périodes géologiques
    des empreintes de pieds dans une terre fossilisée
    et l’on restitue méthodiquement le mouvement d’un groupe
    se déplaçant d’un point à un autre
    évanouis l’un comme l’autre point dans les frasques de la matière
    hommes femmes et enfants courant pour une raison à jamais enfouie
    ayant couru quelques secondes de vie 
    révélées par un insoucieux hasard

     

    Je gage que les pieds filmés dans les années soixante-dix
    universellement visibles depuis dix ans sur vos ordinateurs
    regardés en moyenne dix fois par jour j’ai compté
    disons deux fois en France deux au Mexique deux aux États-Unis d’Amérique
    et pour les quatre autres comme vous voudrez
    auront disparu des écrans disparus
    quand la terre conservera encore aveuglément
    des empreintes de pieds
    auxquelles nul archéologue
    ne rêvera plus

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    Le torchon décore toutes mes cuisines
    Toutes mes vies là où j’arrive par hasard
    N’a jamais essuyé aucun verre aucune faïence
    En essuyant mes souvenirs mes tracas mes tragédies

     

    Simulacre de torchon miniaturisé sur carte postale
    De ces souvenirs à un euro à la sortie d’une expo
    Torchon brodé d’une main qui sait l’art de broder
    condense l’expérience en formules pompeuses dérisoires

     

    Il dit ceci au féminin que je suis allée en enfer
    En suis revenue et je peux vous dire je traduis
    Que c’était merveilleux car c’est brodé
    Malicieusement en américain

     

    Je l’ai découpé à l’époque puis recouvert d’un plastique
    Et là cachant un trou disgracieux près de la fenêtre
    Il me rappelle des siècles de littérature
    Qu'un sourire centenaire dénoue

     

    Bientôt je l’encartonnerai pour aller vivre ailleurs
    Pas si loin mais plus haut plus près du ciel et de l’eau
    La brodeuse qui le broda continuant de penser
    À moi qui pense à elle comme si

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    La brûlerie du marché vous y trouvez le meilleur café 
    Aujourd’hui c’est un mélange de trois cafés d’Éthiopie
    Il paraît qu’il est à peine amer je le confirme à moi-même
    Ce dimanche sans heure où les cristaux liquides 
    Liquident ma volonté mon désir mes doigts ma bouche
    Comme les gouttelettes sur le verre de la cafetière
    Ce n’est pas le ronronnement du chat tapi au fond
    De la machine à laver tout à l’heure et maintenant
    Plus conventionnellement dans son panier par terre
    Ni le bonhomme silhouette de fil de fer tordu jadis
    Par ma fille petite et là suspendu dans ma cuisine
    Ni l’assiette parlante d’époque en faïence de Nevers
    Avec sa Bastille et ses baïonnettes naïvement tracées
    Et son slogan sincère "vivre libre ou mourir" mais
    Rousseau était passé par là pas encore tout à fait digéré
    On voit ce que ça donne le samedi dans les manifs
    Il y a aussi tous ces aimants qui sont comme des lunes
    Multicolores glissant imperceptiblement à l’échelle
    D’une semaine humaine mais inexorablement ils glissent
    Sur le métal de la machine à laver quand roule le tambour 
    Et se noient mes chaussettes de la semaine écoulée délavée
    et lunes de choir fatalement achevées par les griffes du chat
    Sur le carreau comme l’expansion de l’u n  i   v    e     r      s 
    Sur le carrelage répandue et la main de Dieu recomposant
    Tout ça comme un jeu d’enfant ou une hypothèse aussi
    Éphémère que le 0 liquide de l’horloge avant qu’il passe au 1
    Le lémurien avant l’humain et la roche avant l’anguille
    Quant aux jeux d’adultes ils ne m’amusent guère
    Point d’éclats multicolores mais une lune amère

     

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