C’est tout à la fois illusion fiction fuite vertige impasse et soupape
L’évitement et le rentre-dedans ne font pas bon ménage je constate
Ce qu’il en reste c’est qu’il ne reste rien qu’un désert sentimental
Et encore maladroitement je métaphorise par respect pour l’écho
Ou seulement par atavisme et adoration des fleurs de cimetière
L’absurdité de la situation car ce n’est pas que moi moi moi
A broyé les lumières des philosophes et des philosophesses c’est dire
Que reste-t-il de nos rendez-vous du vendredi du samedi et du dimanche
Et du téléphone le téléphone du soir et la distribution des balles
Qu’en reste-t-il rien à l’horizon de mes cinquante ans tout à l’heure
Alors je siffle je ris je noie je bouille je rase je verdoie j’en chie
J’ai flouté tous tes textes mais pas eu le courage des fichiers images
Flouté quand je dis flouté comprenez il en restera des souvenirs colères
Pourtant les déclarations d’intention les miennes d’ailleurs je sais pas
Les siennes les tiennes d’amitié alors soyons amis dans l’illusion
De la possibilité d’être amis mais taisons-nous faisons une pause haha
Longue pause d’oubli de recréation de bruits nouveaux de peau neuve
Et qu’irai-je faire sur tes terres enterrées avec toi l’entêté haha
En laissant pousser mes cheveux je me suis voilé la face voilà tout
Je dis ça ou autre chose que je me suis tué le bras gauche à Pâques
Fait piquer à la fesse en juillet balader en août embrasser en septembre
Puis écouvillonner détartrer maintenant je ne bois plus de lait
J’ai laissé le levain pourrir dans son pot et mon corps dans son lit
folie minuscule - Page 4
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Les dames du banc public
Ici les femmes vont par deux
se donnent rendez-vous
et causent à loisirJ’en entends chaque jour
que je promène mes remous
d’après-midiCelles-ci ne disent pas genre
n’enchaînent point à coups de du coup
nient soigneusement avec des neLeurs relances de simples et
surtout celle qui parle fort
l’autre un rien suiveuseC’est un chapelet de vedettes
Delanoë gourmet Sardou cerné Cerdan
Cabrel Calogero Christophe Christophe MaéL’une a vu Léo Ferré au marché
portant santiags diable
un anarchisteEt il m’a envoyé une photo
mais je ne sais pas si c’est lui qui a écrit
le motIl paraît même
qu’il y eut une fois
Tina Turner à une brocanteEt j’aimais beaucoup Sheil
a parce que j’avais comme elle
des couettes ah j’étais rousseÀ une époque que veux-tu
j’étais seule avec mon fils
et Jean FerratElles égrainent encore les humoristes
Laurent Gerra et cétéra
Drucker et Foucault hélicoptères et bateauxChuchotent je tends l’oreille des secrets d’évêques
sont catégoriques sur le mariage des prêtres
restent approximatives sur les pasteursElles parlent si fort que je les enregistre
vole quelques minutes aux dames oisives
du banc public -
Une palette
En voyant une palette
je pense à toi
ce n’est rien -
Entre les vignes et la rivière
Entre les vignes et la rivière
un trio tompette sax guitare
jouait par hasard au soleil rasant
cela formait de belles découpes
à la bordure des jeunes silhouettes
des boucles de cheveux cramaient
dans le contre-jour anonymeJe fis un aller-retour dans la rivière
Laissant l’eau me laver
comme une purification routinière
et les algues volubiles me sonder
rugueusementJ’étais encore mouillé
j’avais des notifications
je mis tout en vrac dans mon sac
les cheveux en vrac
et l’âme et l’âmeLe trio se déliait comme le soir
je demandai au guitariste
est-ce possible de
alors je pris quelques photos
cherchant en vain l’impression
des silhouettes moirées -
Ni sachant ni manant
DÉTACHÉ MAIS PAS INDIFFÉRENT
telle est l’épitaphe
sur la tombe de Man Ray
c’est ce que j’apprends
par hasard dans une publication
de France Culture
sur mon réseau socialHier j’écoutais Sud Radio
comme j’habite dans le Sud
Brigitte Lahaie interrogeait
un auditeur pour mesurer
son quotient sexuel
c’est permis de parler d’elle dans un poème
Nathalie Quintane l’a bien fait elle
la question était
quel est le contraire de l’amour ?
l’auditeur hésita
pensant bien que ce n’était pas la haine
trop facile trop évident
Brigitte tergiversa sur le dédain
disant non il y a encore de la haine dans le dédain
et la haine c’est encore l’amour contrarié
la bonne réponse était l’indifférence
j’aurais pu envoyer ce vers d’Apollinaire
entre l’amour et le dédain
mais bon -
Servez-vous
Un grand homme
dans un bon coin
ce matinLes livres
comme des nu-pieds usés
se donnent -
Illusions d’optique
Cherchez un médecin sur votre téléphone
vous trouvez le docteur Descorps
le bien nommé
il s’occupera du bouton qui est apparu tel un minuscule champignon au creux de votre coude
le ligaturera en vous laissant puérilement fermer les yeux
vous prévenant de sa brutalité
mais finalement vous ne sentirez rien
sur le coupCe soir vous irez vous baigner à la rivière
mais vous craindrez encore que les chevelures profondes des algues vous gardent prisonnier ou qu’un silure vous frôleÀ la surface de l’eau vous observerez une figue trop tôt tombée
mielleuse figue pas même octobrine
ni la douceur des lèvresDemain vous arpenterez encore quelque colline de causse blanc
ferez une offrande à l’antenne monumentale plantée en son sommet
admirerez la sobriété de la cathédrale et du pont médiéval
et si c’est le matin croiserez encore le regard d’une biche inphotographiable
vous marcherez sur ces marches où les mots jeunesse et reconstruction furent gravés l’an 1965 et l’an 1967
puis un vieil homme vous invitera dans un sentier forestier inconnu des cartes où il descendra plus habile que vous avec son bâton prudentUn jour prochain vous chercherez le meilleur angle pour dissimuler la cathédrale dans les arbres moutonnants du boulevard et du lointain
la cathédrale aux dômes jumeaux
à la couverture de tuile et d’ardoise fineVous retournerez sur la colline avec l’amant de vos trente-trois ans
fixerez quelques sourires devant la carte postale de l’horizon
et chercherez les mots en regrettant de n’être capable de formuler les plus précieux qu’entre les lignes de ce poèmeVous discuterez aimablement en anglais avec un touriste poids-plume chinois résidant en Allemagne
qui repassera par iciVous ouvrirez la porte à un coiffeur un peu avant neuf heures puisque vous n’allez plus chez le coiffeur
Vous laisserez votre chat patauger dans la douche
soignerez les plis hauts des rideaux
rangerez quelques galets dans une boîte à chaussures
rempoterez une orchidée
contemplerez à la télévision les villes tentaculaires des hauts plateaux des AndesPlus sérieusement vous tenterez de comprendre le pied de la lettre et la persistance rétinienne du luth constellé dans le sonnet tant aimé de Nerval
et méditerez la sentence d’Oscar Wilde qui dit ceci que l’expérience est le nom que chacun donne à ses erreurs -
Il faut tenter de vivre
Votre dossier est facile. Si fait, empruntons et devenons propriétaire. Mais d’abord, répondons au questionnaire médical. Votre hygiène de vie est-elle irréprochable ?
Pour emprunter Claudel, je présente mon attestation de vaccination : la fréquentation de la médiathèque est à ce prix.
Pour visiter Paul Valéry en son musée, point d’attestation, mais on rechigne devant mon billet de dix ; je dois insister ; on ne peut le refuser. Le poète manquait d’argent et fumait beaucoup. On le voit parfaitement sur un grand tableau.
On écoute religieusement les sizains sacrés : colombes, tombes, feux, dieux… C’est une boucle qui hante, aux heures d’ouverture, une petite salle du musée.
Au cimetière marin, je photographie naïvement, sur la tombe du poète démodé, une pensée, qui dans le poème rime avec la mer recommencée. C’est une pensée fleur, mais une fleur de céramique. Dans la partie Est du cimetière, c’était la mode entre 1870 et 1920, les tombes sont ornées de couronnes de mimosa. Certaines intactes, d’autres brisées, parfois percées d’un trou accueillant une abeille solitaire : redoutable, l’abeille solitaire, affirme un connaisseur.
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Café crème
"Arrête de me regarder, sale pute de l’enfer", dit un homme sur le boulevard. Derrière une vitrine, une femme range des babioles, un œil sur l’homme qui continue de ruminer. Elle est jeune, noire de peau. — L’enfer, c’est cet homme bien sûr.
J’ai trouvé un endroit pour écrire sans avoir l’air de prendre la pose. C’est un café, Le Café Crème. J’y commande invariablement un café crème et un croissant. Tout y est vieillot, défraîchi, sans même les petites joies vintage qui agrémentent le goût du jour. (En anglais, par les haut-parleurs du boulevard : "La Ville de Cahors vous rappelle que le port du masque est obligatoire sur le marché du mercredi et du samedi.") Même l’aimable patron est à la retraite, comme je l’ai appris un jour que des vieux clients le chambraient. La plupart du temps, je suis seul sur la terrasse ombragée, sous les austères fenêtres IIIème République de mon lycée qui porte le nom de Clément Marot. Comment regardes-tu ? — Au ras du sol, des peaux, des voix, du soleil perçant dans une feuille d’ortie. — En somme, tu blasonnes. — Ce serait le regard de mon chat convoitant les lacets de ma chaussure, ou celui d’un moustique louchant sur sa trompe. Mais la différence avec Marot, c’est que je pense aux photons, à la photosynthèse, aux orties géantes d’Asie qui vous tuent. Que le chaos des origines dans les rêveries ovidiennes et l’ordre de la création dans le dogme chrétien sont pour moi entropie et néguentropie : des mots difficiles à verser dans un poème — mais des convictions apaisantes. L’ancienne Fureur poëtique n’est que retrait des affaires du temps, gratuité du stylo et, disons, scriptosynthèse.
— Le babil des hommes est une prairie sans rosée.
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