19 mai, pas de croix sur le calendrier que je n’ai pas, ni l’agenda Google, ni quoi que ce soit d’approchant. 19 mai, sur mon bureau, fond d’écran qui n’est que surface immatériellement visible à chaque allumage. L’ordinateur est tenace, régulier, fiable. Le clavier, docile, familier, verbeux.
En haut du boulevard, c’était une terrasse d’étudiants dans ma ville sans université, sans doute des étudiants à la maison, étudiants à distance, étudiants digitaux et fêtards. Je bus un café-crème et mangeai un croissant à la croûte coriace.
— J’ai lu entretemps qu’une fête sauvage dans les environs, une trentaine de lycéens, a, comment dirait-on, et qu’en penserait l’infatué secrétaire perpétuel de l’académie française, provoqué un, évolué en, dégénéré en cluster. On s’est accoutumé à la sauvagerie des fêtes, sauvages dès lors qu’elles sont fêtes. Le contraire d’une fête sauvage est un mariage sans témoins, un enterrement sans roses, une quelconque célébration religieuse, peut-être un cours de français dispensé par mes soins en présentiel ou en distanciel.
J’étais chez moi, participant à une visioconférence dans ma cuisine, ajustant ma figure d’expert (nous étions plusieurs représentantˑeˑs de cette tribu), notant, acquiesçant, capturant sauvagement les écrans partagés, diapositives de missions et de montants financiers. Ce fut une bonne réunion.
En bas du boulevard, c’était une terrasse de, il n’y a plus de mots pour le dire, gens de type non-caucasien et vraisemblablement d’origine nord-africaine, tous hommes, potentiellement cisgenres et plutôt hétérosexuels, rassemblés entre hommes de la même masculinité ostentatoire comme cela se fait dans nos contrées habituellement en période non-confinée. J’y lus quelques pages de Lagarce en notant des idées sur un bloc-notes : n’était-ce pas une pièce de l’après, étaient-ce des mots justes ou juste des mots, le dire de l’échec ne remplaçait-il pas l’échec du dire, etc.
À la brocante il me sembla que la brocanteuse ne me reconnut pas, mes cheveux en arrière sous le bonnet. J’admirai quelques gravures napoléoniennes, des voltaires, un banc rustique, une antique photo de première communiante, etc.
De retour dans ma cuisine, j’écrivis un cours en reprenant mes notes de la terrasse masculine, cercles concentriques, questions à rebonds, tentative d’épuisement d’un échec réussi.
Je repassai un torchon et un jean resté humide à cause de la froidure insolente de mai.
Puis à minuit j’envoie un texto à ma fille : dix-sept ans !