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Le pays - Page 3

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    Il y a des bords de rivière comme des lumières de sous-bois, les feuilles des arbres ont une découpe de feu, le temps passe à la vitesse d’une barque fainéante.

    Ce sont plutôt des hommes 
    sur les bancs de vingt-et-une heures 
     méditant face à la rivière 
    dans la zone de carte postale un peu défraîchie 
    où je me promène au motif 
    de mon appareil photographique
    et de la révision de ma voiture.

    L’ancienne gare a l’air d’avoir été peinte en bleu du ciel, le pont médiéval se reflète dans les vitres opaques d’une façade sans âme, et les terrasses sans serveurs s’ennuient au soleil rasant.

    Un calendrier 1999-2000 bouche la brisure d’une vitrine : j’y lis le printemps de mes vingt-quatre ans, les préparatifs de mon mariage, et l’âge de ma mère qui sera le mien bientôt.

    Je me suis réfugié dans les années cinquante, le tapissier est parti avec mes vieux fauteuils, j’ai assorti mon chaton à mon tapis — nous en avons pour vingt ans !

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  • La nouvelle médiathèque de Cahors

    Ô Larbaud, si tu savais ! Je lis dans La Dépêche
    Que tu as donné des sueurs froides aux bacheliers.
    C’est que, un après-midi de juin,
    Des centaines de milliers de jeunes gens
    Ont lu ton Ancienne gare de Cahors :
    Soudain plus de lecteurs que tu n’en eus en un siècle !
    Ils se sont interrogé sur l’étrange objet de ton admiration,
    Cette gare désaffectée, vieille et rose
    — Et moi, je l’ai trouvée bleue en ce dimanche de juillet,
    Et coiffée bizarrement d’un couvercle modernement 
    Architecturé, la faisant ressembler, de l’autre
    Côté des rails rouillés, à une piscine provinciale
    — Mais c’est une médiathèque, et, pour t’expliquer ce que c’est,
    Je dirais que c’est une sorte de bibliothèque qui se débarrasse
    Sans vergogne de ses livres périmés à mesure qu’elle en acquiert
    De nouveaux, plus au goût du jour — Toi,
    Tu n’es tellement pas au goût du jour que tes vers
    Obsolètes sont devenus un sujet de baccalauréat, 
    Couronnement académique des Poëtes Mineurs. 
    Ta gare endormie s’est déclinée en infinis commentaires, 
    Mais pour la première fois en cette année 2021, 
    Les copies des bacheliers n’ont pas été lues.  
    Des agents les ont scrupuleusement
    Scannées — comment t’expliquer cela ?... 
    Disons qu’ils ont photographié trois millions de pages
    Pour les projeter sur des sortes de téléviseurs :
    Les professeurs les ont regardées chez eux 
    Et corrigées une à une sans pouvoir 
    jamais les toucher  — nous appelons cela
    Dématérialisation, ô Poëte de l’autre siècle 
    — C’est pour la joie de Dieu, la joie sans chair ! —, 
    Et nous ne toucherons plus jamais de papier, 
    Ni ne ferons couler aucune encre.

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  • Bac masqué

    On parle des saisons : du coup t’es dans quelle saison ?
    Vous pouvez aussi vous documenter sur les dômes de chaleur, dernière expression à la mode, qui a remplacé abstention depuis deux jours.

    Comme j’examine, moi, je soigne ma question :
    Avez-vous une montre ? Vous avez une demi-heure.
    — Je vais gérer.

    À propos d’une poussette, un couple :
    Y a un truc qu’y faut pas faire, c’est genre s’arrêter.

    L’antiquaire confie, avec son aura de boulevard :
    J’ai eu la belle-fille du préfet au téléphone…

    Et alors, pourquoi avez-vous choisi de présenter Les Fleurs du Mal ?
    — Déjà, c’est la seule œuvre que j’ai lue… je ne suis pas un grand lecteur.

    Un autre s’émeut de l’empathie de Baudelaire, toujours le premier à s’intéresser aux vieillards, aux pauvres, aux prostituées, aux lesbiennes, sans parler de ses cheveux verts. — Dans mon souvenir, il prend la précaution de mettre des gants pour serrer des mains et n’est pas tendre avec les invertis, mais bon, nos lunettes…

    Comme je me dirige vers une table dans le fond de la terrasse,
    Manon m’interpelle. Je la reconnais mais je ne la reconnais pas tout à fait.
    Elle est rayonnante, démasquée et coiffée comme pour un shooting Instagram.
    — Je suis tombée sur Lamartine, la prof m’a bombardée de questions.
    C’était quand même pas évident de réviser l’oral, j’ai commencé à travailler dans un bistro. 

    Je ne sais pas quoi faire des diagnostics de dépression : Apollinaire se complaît-il dans la mélancolie, il est dépressif ! Je mets en garde : vous savez, les lunettes contemporaines…

    Une candidate se débrouille pas mal avec les cochons de La Ferme des animaux, mais quand je lui parle des chiens elle sèche.

    Une autre me sidère en commentant La Princesse de Clèves : le langage n’est pas soutenu, il est… enfin, pas familier mais… — Courant ?! — Oui, il est courant, mais par contre l’histoire elle est pas courante.

    Une candidate d’origine ukrainienne, excusez-moi, je ne parviendrai pas à prononcer correctement votre nom, elle parle de La Fontaine et c’est lumineux. Surtout, j’admire sa syntaxe, sa facilité à phraser sans nos ineptes du coup. Elle me parle d’un fabuliste ukrainien, et quand je fais des recherches plus tard, cela m’est tout à fait inaccessible : tant mieux.